A Kinshasa, l'appel à manifester contre Kabila se perd dans le vide

Felix Tshisekedi lors d'une réunion dans la capitale, à Kinshasa, en RDC, le 3 février 2017.

L'appel à manifester à Kinshasa contre le président Joseph Kabila, lancé par le parti historique de l'opposition congolaise, s'est perdu dans le vide lundi alors que les habitants se terraient majoritairement chez eux.

En fin de matinée, la bouillonnante capitale de la République démocratique du Congo était une ville fantôme. La très faible activité qui avait pu être constatée tôt lundi était retombée: rues pratiquement désertes, commerces fermés, transports en commun presque inexistants.

Le vacarme habituel de la mégapole de quelque 10 millions d'habitants habituée aux violences à caractère politique avait fait place au silence reconnaissable des journées de haute tension.

Vers 10h30 (09h30 GMT), le rond-point de l'échangeur de Limete, dans le centre-est de la ville, d'où devait partir la marche annoncée par l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) était aussi animé qu'un cimetière.

A l'échelle de la ville, la présence policière et militaire était visible sans être omniprésente.

L'UDPS, parti de l'opposant historique Étienne Tshisekedi décédé en février à l'âge de 84 ans, a appelé la population à manifester lundi dans toutes les villes du Congo contre M. Kabila.

Félix Tshisekedi, fils d'Étienne qui briguait ouvertement le poste de Premier ministre, a accusé dimanche le président, dont le mandat a expiré le 20 décembre 2016, d'être "le principal obstacle au processus démocratique" après que le chef de l'État eut annoncé vendredi la nomination à la tête du gouvernement de Bruno Tshibala, dissident de l'UDPS.

Plutôt que de rester en RDC pour manifester, M. Tshisekedi s'est envolé dimanche après-midi pour Addis Abeba. Dimanche soir, la police avait annoncé que toute marche à caractère politique était interdite ce lundi sur l'ensemble du pays et que "tout attroupement de plus de dix personnes (serait) dispersé".

Goma et Bukavu

L'appel de l'opposition "à une déferlante populaire (...) a été un échec", a estimé devant la presse le président de l'Assemblée nationale, Aubin Minaku, chef de la coalition de la Majorité présidentielle.

La situation était similaire à Goma, où la manifestation annoncée pour 9 heures (07h00 GMT) n'a pas eu lieu. Selon des témoins, la police y a dispersé à coups de gaz lacrymogène des groupes de jeunes qui tentaient de poser des barrages de pneus incendiés sur la chaussée au petit matin.

À Burkavu, selon le correspondant de VOA, des militants se sont rassemblés, une manifestation qui s'est très vite elle a été dispersée à coup de gaz lacrymogènes à moins de 30 mètres de son point de départ .

Environs 10 personnes parmi les manifestants ont été appréhendés par la police, aussitôt auditionnés et relâchés. On déplore quelques quelques blessés selon Deo Bizibu, cadre de L'UDPS.

Réactions et appels de la veille

Sur Twitter, l'ambassade américain avait réagi la veille.

"A la lumière des manifestations prévues 10 avril, les Etats-Unis soulignent la nécessité pour le gouvernement de la RDC et l'opposition de respecter les règles démocratiques, y compris le droit de rassemblement pacifique. Les Etats-Unis invitent le gouvernement de la RDC et les leaders de l'opposition à s'abstenir de toute action ou déclaration incendiaire qui pourrait inciter à la violence ou aux troubles", a publié l'ambassade des États-Unis en RDC.

A Paris, le Quai d'Orsay a vu dans la nomination de M. Tshibala une "violation" de l'accord du 31 décembre, "porteuse de graves risques pour la stabilité et l'avenir du pays". La France a demandé à Kinshasa de veiller au respect des "libertés fondamentales", et appelé "au calme et au rejet de toute violence".

Dimanche soir, Moïse Katumbi s'était exprimé dans une vidéo relayée par les réseaux sociaux.

"Je vous invite tous à me suivre dans ces combats pacifique qui me tient, plus pour longtemps, loin de mon pays", a lancé l'opposant politique, qui indique dans son message qu'"ils sont une poignée, nous sommes 80 millions", rappelant que "la force est au peuple".

La RDC traverse une crise politique depuis la réélection de M. Kabila en 2011 lors d'une présidentielle entachée de fraudes massives. Les tensions ont été encore exacerbées avec son maintien au pouvoir après le 20 décembre, date ayant marqué la fin de son deuxième et dernier mandat constitutionnel, dans un climat de violences ayant fait des dizaines de morts dans le pays, sur fond de pauvreté généralisée.

Sous l'égide de l'Église catholique, opposition et majorité ont signé le 31 décembre 2016 un accord prévoyant le maintien au pouvoir de M. Kabila jusqu'à l'entrée en fonctions d'un successeur devant être élu en 2017, en échange de la nomination d'un Premier ministre issu de l'opposition.

Après trois mois de tergiversations sur le partage des postes entre les signataires de l'accord, M. Kabila, qui ne l'a pas signé, a fini par nommer M. Tshibala, ce que l'UDPS a qualifié samedi de "récompense à la trahison".

Premier parti de l'opposition congolaise à l'issue de la présidentielle et des législatives de novembre 2011, l'UDPS s'est déchirée après la décision d'Étienne Tshisekedi de boycotter les institutions pour contester la fraude électorale, et apparaît aujourd'hui privée de chef naturel.