Dans la fertile province du Mashonaland East, à l'est de la capitale Harare, un fermier noir et un collègue blanc exproprié tentent de relever le défi ensemble, renouant symboliquement un lien détruit par les violentes "invasions" de terres ordonnées par le "camarade Bob".
Il y a deux ans, le premier, Gary Shoko, 61 ans, s'est associé au second, Pieter Gertenbach, 63 ans, pour relancer son exploitation de 81 hectares.
Avec succès. Aujourd'hui, tous les deux sont même persuadés de détenir la recette qui rendra au Zimbabwe sa gloire perdue de "grenier à blé" de l'Afrique australe.
Leur partenariat a démarré fortuitement en 2016. Dans son village d'Arcturus, Gary Shoko est le témoin de l'expropriation violente d'une ferme voisine, propriété d'un exploitant blanc. Pour la deuxième fois de sa vie, Pieter Gertenbach, qui y était employé, se retrouve à la rue.
"Ce voisin venait juste de se faire expulser d'une ferme. Je me suis dit qu'on pouvait peut-être l'aider, j'y ai vu une occasion pour nous de collaborer", se souvient M. Shoko, assis dans la véranda qui domine son exploitation.
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"Je lui ai dit +pourquoi ne travaillerait-on pas ensemble ? J'ai la terre, vous avez l'expertise+", poursuit l'agriculteur.
L'an dernier, les deux agriculteurs ont déposé les statuts de leur coentreprise et commencé à produire des légumes, des céréales (maïs et blé) et à y élever des poulets.
- 'Invasions' -
Un nouveau départ pour Pieter Gertenbach. En 2004, sa famille avait été expulsée manu militari de sa propriété familiale de Darwendale, non loin de Harare.
A cette époque, les invasions de fermes vont bon train, encouragées par Robert Mugabe pour, justifiait-il alors, corriger l'injustice faite par la colonisation britannique à la majorité noire de l'ex-Rhodésie devenue Zimbabwe.
Plus de 4.000 agriculteurs blancs ont été expropriés au profit, souvent, de proches du pouvoir dont l'inexpérience et le manque de formation ont conduit leurs exploitations à la ruine et les dizaines de milliers de leurs ouvriers, noirs, au chômage.
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Cette mesure a plongé l'ensemble de l'économie dans une grave crise dont elle ne s'est toujours pas remise.
"Je n'ai pas de problème de fond avec la réforme agraire", tient à dire Pieter Gertenbach au milieu de ses plants de tomates.
"Nos fermes étaient devenues nos royaumes. Nous ne respections pas nos concitoyens", concède le Zimbabwéen blanc. "La réforme était nécessaire, mais je me pose des questions sur la façon dont elle a été conduite. Notre pays s'est effondré, des erreurs ont été faites".
Lui et son nouvel associé estiment que la chute en novembre de Robert Mugabe constitue une chance unique de les réparer.
Son successeur et ancien bras droit Emmerson Mnangagwa a promis la fin des expropriations et, même, des compensations au profit des fermiers blancs expulsés.
- 'On peut s'aider' -
"Les invasions de terre appartiennent au passé. Le droit doit désormais s'appliquer", a-t-il encore rappelé la semaine dernière lors d'une réunion de campagne.
Le candidat du parti au pouvoir, la Zanu-PF, à la présidentielle du 30 juillet a fait de la relance de l'économie et de la lutte contre la corruption ses deux priorités. Son principal rival, Nelson Chamisa du Mouvement pour un changement démocratique (MDC), défend les mêmes ambitions.
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Quel que soit le nom du futur président, Gary Shoko espère ardemment que son pays sortira vainqueur du scrutin.
"Lorsque nous avons lancé notre projet", se rappelle-t-il, "il n'était pas très à la mode de s'associer avec un fermier blanc. Il y avait beaucoup d'animosité".
"Je me réjouis que, sous le nouveau régime, nous puissions nous montrer honnêtes les uns envers les autres et nous dire +on peut s'aider, Blancs et Noirs+", insiste-t-il, "je sais qu'ils sont nombreux, comme moi, à ne pas avoir l'expérience nécessaire pour rentabiliser la terre".
Depuis qu'ils font cause commune, les deux fermiers n'ont pas été épargnés par les coups du sort. En début d'année, leurs cultures ont été détruites par les inondations. Et ils peinent encore à payer régulièrement leurs 38 ouvriers.
Gary Shoko et Pieter Gertenbach assurent avoir réussi à surmonter ces difficultés grâce à leur foi chrétienne.
"Je crois que Dieu a laissé faire pour que nous puissions comprendre qu'il est de notre obligation de travailler pour le bien commun et pas seulement pour nos propres bénéfices", conclut M. Gertenbach.
Avec AFP