La campagne électorale en Gambie, un rare moment de pluralisme

Le président gambien Yahya Jammeh arrive à la 48e session ordinaire de ECOWAS à Abuja, Nigeria, le 16 décembre 2015.

Marches et rassemblements à travers le pays, critiques ouvertes contre le président Yahya Jammeh: l'opposition gambienne savoure, le temps de la campagne pour le scrutin présidentiel du 1er décembre, des pratiques qui d'ordinaire conduisent leurs auteurs en prison.

Le parti au pouvoir, l'Alliance patriotique pour la réorientation et la reconstruction (APCR), se livre pendant cette campagne de deux semaines à des chorégraphies soignées, en présence de milliers de personnes, alors que l'opposition profite de manifestations pour une fois autorisées, sans restriction de temps, de lieu et de discours.

Le candidat unique de l'opposition, Adama Barrow, soutenu par sept partis, était vendredi à la tête d'un cortège à Banjul, après avoir sillonné des zones en province en prévision du scrutin.

M. Barrow est le principal challenger du président Jammeh, 51 ans, parvenu au pouvoir par un coup d'Etat en 1994 et en quête d'un cinquième mandat. Un ancien député de l'APCR, Mama Kandeh, fera également face à M. Jammeh, élu en 1996, constamment réélu depuis et qui dirige la Gambie d'une main de fer.

Une foule nombreuse assiste aux rassemblements de l'opposition mais plusieurs de ses manifestations ont été annoncées puis annulées sur les réseaux sociaux, en raison notamment de difficultés à trouver une salle pouvant contenir ses partisans.

De jeunes d'humeur joviale, juchés sur des pick-up, dansent au milieu de la chaussée, avec force cris et applaudissement dans un convoi de supporters de M. Barrow, à Banjul la capitale.

"Après 22 ans de pouvoir de Jammeh, tous les Gambiens veulent le changement. C'est seulement un changement de dirigeant qui peut nous apporter une paix durable", affirme Ousman Bah, un étudiant de 26 ans.

Il a tenu ces propos à la périphérie de Banjul, près d'un quartier où, en avril, des jeunes ont été battus et embarqués dans des camions par des agents de sécurité pour avoir appelé à des réformes politiques.

Certains d'entre n'ont plus été revus. La mort en détention de Solo Sandeng, une figure montante du Parti démocrate unifié (UDP), principale formation de l'opposition, a suscité des protestations ayant conduit à l'arrestation d'autres responsables de ce parti.

Plusieurs d'entre eux, dont le leader du parti, Ousainou Darboe, purgent des peines de trois ans de prison pour manifestation illégale.

Fait rare, Alimatou Barrow, 22 ans et en chômage, clame ouvertement son opposition au président Jammeh.

"Cet homme est en train de détruire notre pays. Tous les jeunes veulent tenter l'émigration et certains en sont morts. Nous voulons le changement parce que nous sommes fatigués de cet homme", affirme-t-elle à l'AFP.

Les Gambiens figurent parmi les premières nationalités de migrants qui traversent la Méditerranée pour atteindre l'Italie, occupant même la première place par rapport à la population (moins de 2 millions) de ce petit pays d'Afrique de l'Ouest, selon l'Organisation internationale des migrations (OIM).

Sécurité imposante

En prévision de la venue de M. Jammeh dans le village de Brikama, au sud de Banjul, des élèves sont alignés pendant plusieurs heures, une longue attente qui a provoqué l'évanouissement d'une fillette.

Les supporters du chef de l'Etat se distinguent par des affiches rappelant leur école ou leur organisation: Il y a par exemple des membres de l'association des athlètes de Brikama, d'autres militants originaires de Serrekunda, près de Banjul.

Des femmes dansent et n'arrêtent pas d'applaudir sous la surveillance des agents de sécurité. Des artistes feignent de se couper la peau avec des couteaux à côté de danseurs traditionnels du "kankourang", des hommes se couvrant de la tête aux pieds de feuilles d'arbres séchées, sous une musique bruyante.

"Je voterai pour M. Jammeh. Si j'avais la chance de voter un million de fois, tous mes suffrages seraient en sa faveur", déclare Yahya Jattah, un menuisier.

Soudain apparaissent "les garçons verts", des supporters du président criant des slogans: "Yahya, Yahya Jammeh, nous t'aimons".

Debout sur une plate-forme alors qu'il fait le tour du stade du village, le chef de l'Etat porte un boubou blanc, tient un Coran et un chapelet. Une sécurité intransigeante essaie de contenir la foule alors qu'il serre les mains de ses partisans enthousiastes.

Avec AFP