La difficile équation de l'environnement et des populations au Mont Péko en Côte d'Ivoire

Un agriculteur illégal, originaire du Burkina Faso, expulsé du parc national Mont Péko, marche dans le village détruit par une opération d'expulsion de travailleurs illégaux dans le département de Duekoue, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, le 1er août 201

Cette chaine de montagne grise émergeant d'un écrin de verdure a été exploitée illégalement par des cultivateurs pendant des années, notamment à la faveur de la crise politique qui a plongé la région dans l'anarchie.

A la vue d'une voiture, deux hommes laissent tomber leurs vélos et s'enfuient dans la forêt, abandonnant leur précieux engin et des sacs d'une quarantaine de kilos de cacao. Plus loin, une femme disparait dans la brousse sans son fagot de bois.

C'est le quotidien du Mont Péko, parc national de 35.000 hectares dans l'Ouest de la Côte d'Ivoire, où les agents jouent au chat et à la souris avec les occupants illégaux pour protéger une flore et une faune exceptionnelles, notamment des éléphants nains.

Fin juillet, le gouvernement a finalement mis ses menaces d'expulsion à exécution, forçant les occupants illégaux à partir et interdisant aux villageois vivant en bordure du parc de travailler les champs qu'ils y avaient défrichés.

'Mont Cacao'

Un peu moins de 50.000 personnes, 21.000 riverains et 25.000 "occupants", dont une majorité d'immigrés burkinabè mais aussi des Ivoiriens d'autres régions, sont concernés, selon le ministère de la Solidarité.

"Ce n'était plus le Mont Péko mais le Mont Cacao..." reconnait Moussa Koné, président du Syndicat national des agriculteurs pour le Progrès.

"Il faut protéger la forêt, lutter contre la déforestation, sinon la Côte d'Ivoire va devenir un désert. Mais, il fallait des mesures d'accompagnement. On prive les gens de leurs moyens de subsistance. On pourrait les intéresser en finançant des activités de protection du site par exemple".

"C'est la pauvreté qui commence, la misère", résume Apollinaire Tahé Guei, cultivateur du village de Diébly, qui doit nourrir ses quatre femmes et 22 enfants. Seize de ses 23 ha se trouvent dans la zone désormais interdite.

"Avant que le Parc du Mont Péko soit créé (en 1968), ce village existait déjà et on y vivait, on cultivait. Maintenant, on n'a plus de quoi vivre", explique-t-il.

"Qu'est ce qu'on va devenir? Des braqueurs, des coupeurs de route pour pouvoir manger?", ajoute Serge Tehe Desawn, 34 ans, qui a perdu 6 de ses 7 ha.

Mêmes doléances dans tous les villages avoisinants. Les riverains ne comprennent pas qu'on les prive de "terres ancestrales".

"C'est absurde, il y a même des écoles qui ont été construites en bordure (du parc) pour des villages et campements se trouvant à l'intérieur. Les écoles c'est l'État, non? S'il les a construites, c'est bien qu'il était d'accord", s'insurge sous couvert d'anonymat un chef de village.

Situation similaire pour les "immigrés" burkinabè ou ivoiriens, venus du Centre ou du Nord exploiter le cacao, dont le pays est le premier producteur mondial.

Ils sont arrivés majoritairement pendant la crise qui a coupé le pays en deux au début des années 2000, parfois attirés par les chefs de guerre de la région, aux confins des zones rebelle et loyaliste.

Le Programme alimentaire mondial de l'ONU met en place des distributions de vivres et l'État assure faire des efforts pour ces déplacés.

"On vit comme on peut. Ce n'est pas facile. On vivait normalement et tout à coup, on se retrouve dehors", se plaint un cultivateur burkinabè.

Cohabitation difficile

L'exode forcé crée des tensions. A Duékpué, la population est passée de 850 habitants à 1.300.

"Ça ne se passe pas bien. On accueille les gens avec bonne volonté mais rien n'a été prévu. Il y a surnombre à l'école. Une seule pompe à eau fonctionne et les femmes doivent faire la queue parfois de 8h à 12h. Il y a le problème de l'hôpital et évidemment de la nourriture, il nous faut de l'aide", explique Vincent Blé, président des jeunes du village.

Dans d'autres localités, les antagonismes sont exacerbés.

Les nouveaux venus "profitent de la situation. Ils volent nos récoltes, ils sont armés. On ne peut rien faire contre eux", affirme Apollinaire.

Echo inverse chez un Burkinabé. "On est mal accueillis. On ne peut rien dire parce qu'on n'est pas chez nous. On ne sait pas quoi faire. On ne sait où aller".

Seule certitude, beaucoup de gens continuent d'entrer dans le parc pour récolter cultures vivrières et le précieux cacao, revendu à des intermédiaires puis in fine acheté par l'industrie cacaoyère, malgré l'interdiction. Dans les villages et les campements, partout du cacao sèche. Officiellement, il provient intégralement de champs hors parc.

"On ne peut pas distinguer le cacao du parc de celui d'à côté du parc... De toute façon tout le monde y trouve son compte", résume Moussa Koné, un habitant.

"Oui, évidemment, on continue d'aller dans le parc. On y va nuitamment. Il y a nos récoltes qu'on a plantées. Si on n'y va pas, on ne mange pas...", relève un expulsé burkinabè.

"Comment voulez-vous qu'on fasse autrement", renchérit un villageois. "On se faufile, il faut éviter les agents des parcs. S'ils te prennent, ils te rackettent".

Selon de nombreux témoignages, il faudrait payer une "taxe" de 100 ou 200 francs CFA par kg de caco sortant, pour un prix de vente aux intermédiaires (fixé par l'État) de 1.100 CFA (1,5 euro).

D'autres évoquent amendes et arrestations. "Si on t'attrape, on t'emmène et on ne te libère pas pour moins de 100.000 CFA" (150 euros), dit un habitant.

L'AFP a vainement demandé une réaction aux autorités des parcs.

Avec AFP