La question ultra sensible de la réforme de la terre en Afrique du Sud

Cyril Ramaphosa devant la presse, le 20 avril 2018.

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa s'est engagé à "accélérer" la réforme de la terre pour "réparer la grave injustice historique" imposée à la majorité noire pendant l'apartheid, un enjeu crucial à l'approche des élections générales de 2019.

Voici les points clés de ce dossier extrêmement sensible.

Spoliations historiques

Les Sud-Africains noirs ont été dépossédés de leurs terres au cours des trois siècles de colonisation et pendant le régime de l'apartheid, qui a officiellement pris fin en 1994.

En Afrique du Sud, "l'ampleur des dépossessions est pire que dans n'importe quel autre pays du continent", affirme Ruth Hall, professeur à l'Institut de la terre (Plaas) basé au Cap.

La loi de 1913 sur les terres indigènes a acté les spoliations, attribuant 13% des terres à la majorité noire. Pour M. Ramaphosa, c'est le "péché originel".

En arrivant en pouvoir en 1994, le Congrès national africain (ANC), fer de lance de la lutte anti-apartheid, s'est fixé comme objectif de redistribuer en cinq ans aux Noirs 30% des 60.000 fermes commerciales appartenant à des Blancs. A ce jour, seuls 8% ont changé de mains.

Maigres progrès depuis 1994

"Le rythme" des réformes "est lent et inefficace", constate sans appel un récent rapport dont la rédaction a été dirigée par l'ex-président Kgalema Motlanthe.

Un échec imputable notamment au manque de moyens mis en oeuvre par l'Etat. Le financement de la réforme de la terre n'a jamais été aussi bas: 0,4% du budget national.

Mais "les obstacles les plus sérieux" à la réforme sont ailleurs, selon le rapport Motlanthe: "la corruption, (...) le manque de volonté politique, de formation et de compétences".

Depuis 1994, les autorités ont lancé deux programmes de restitution des terres. Un total de 223.000 requêtes ont été déposées, mais seulement 25% ont été traitées. A ce rythme, prévient Ruth Hall, il faudra 188 ans pour les écluser.

Problème rural et urbain

L'objectif de la réforme est de mettre fin aux inégalités en milieu rural mais aussi urbain, où se concentrent 62% de la population.

En 2018, les villes sud-africaines restent organisées sur le modèle de l'apartheid, avec des banlieues blanches à proximité des centres névralgiques et des townships noirs situés en très grande périphérie, parfois à dizaines de kilomètres.

"C'est l'un des vestiges de l'apartheid pour nous les Noirs et les métis. On passe deux à quatre heures par jour dans les transports pour aller au travail", constate Nkosikhona Swaartbooi de l'association Ndifuna Ukwazi, qui se bat pour "un "accès équitable" à la terre dans les villes.

M. Ramaphosa en est bien conscient. Le gouvernement "s'active pour que les pauvres en milieu urbain puissent posséder des terrains proches du travail, des services publics et des écoles", a-t-il promis.

Exproprier sans indemniser

C'est le sujet qui déchaîne les passions.

Jusqu'à présent, l'Etat a privilégié une politique d'achats à l'amiable des terres. Mais en février, les députés ont voté la mise en place d'une commission chargée de réviser la Constitution pour exproprier sans compensation.

Depuis, l'organisation AfriForum, qui défend la minorité blanche, est vent debout. "Le droit de propriété est la pierre angulaire du développement économique", insiste l'ONG.

Elle a reçu le soutien du ministre de l'Intérieur australien Peter Dutton: les fermiers blancs sud-africains sont "persécutés", a-t-il affirmé, créant une mini-crise diplomatique avec Pretoria.

La révision de la Constitution fait elle-même débat. Elle n'est pas nécessaire, estiment plusieurs spécialistes, qui assurent qu'elle permet déjà les expropriations sans indemnisation.

"Plutôt que de changer la Constitution", le panel présidé par M. Motlanthe "recommande" que "le gouvernement utilise son pouvoir d'expropriation de façon plus audacieuse".

Le projet de révision est une mesure électoraliste, soulignent plusieurs experts. L'ANC cherche ainsi à gagner des voix face au parti de la gauche radicale des Combattants pour la liberté économique (EFF), en pleine progression, qui a fait de la terre son cheval de bataille.

Un autre Zimbabwe ?

Des agriculteurs sud-africains blancs craignent que leur pays ne suive la voie du Zimbabwe, où des milliers de fermiers blancs avaient été expulsés manu militari au profit de Noirs, au début des années 2000.

Lancée par l'ex-président Robert Mugabe, cette réforme a plongé son pays dans une profonde crise économique.

En Afrique du Sud, l'EFF prône les saisies illégales de terres. Elles se sont d'ailleurs multipliées ces derniers mois, donnant lieu à de nombreuses violences entre squatteurs et forces de l'ordre.

"Nous n'autoriserons pas des interventions s'apparentant à du vol. Nous ne ferons pas les erreurs que les autres ont commises", a promis M. Ramaphosa, assurant que la réforme "ne portera pas atteinte à l'économie".

Avec AFP