LILLE (Reuters) - Désormais considéré comme un champ de confrontation à part entière et un enjeu économique, le cyberespace est aujourd'hui indissociable des théâtres de guerres dites traditionnelles mais ses limites demeurent floues, estiment les analystes.
"Le cyberespace sera un élément de tous les conflits futurs même si on ne sait pas quelle forme cela prendra", souligne Matthijs Veenendaal, chercheur au Centre excellence de cyberdéfense de l'Otan (CCDCOE), lors du forum international consacré à ce dossier à Lille, mercredi.
"Tous les pays mènent des opérations dans le cyberespace mais il n'y a pour l'heure pas de limites à proprement parler, on ne sait pas ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas."
En France, la cyberdéfense a été hissée au rang de priorité nationale et qualifiée de "quatrième armée" par le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian qui a débloqué pour ce domaine un milliard d'euros sur la période 2014-2019.
Les attentats de Paris, qui ont été accompagnés d'une vidéo d'Amedy Coulibaly sur internet et suivis de plus de 20.000 actes de piratages de sites internet français, ont illustré la place prépondérante d'internet dans la guerre de l'information, qu'elle soit menée par des activistes ou djihadistes.
"On n'est pas dans une situation de cyberguerre, c'est un abus de langage, on a des opérations qui peuvent avoir un effet médiatique, avoir une influence, mais ce n'est pas dangereux d'un point de vue étatique", estime Daniel Ventre, chercheur au CNRS et titulaire de la chaire de cyberdéfense et cybersécurité (Saint Cyr-Sogeti-Thales).
"PAS DE CONFLIT SANS DIMENSION CYBER"
Apparue en 2007 à la suite d'une attaque de sites internet d'Estonie sur fond de crise diplomatique avec la Russie, la notion de cyberguerre est revenue sur le devant de la scène lors de l'apparition du virus Stuxnet en 2010 contre les installations nucléaires iraniennes.
Plus récemment, les comptes YouTube et Twitter du commandement militaire américain au Moyen-Orient, le Centcom, ont été pris pour cible. En France, le site internet et le compte Twitter du Monde ont été piratés ces derniers jours par des partisans de Bachar al Assad, l'armée électronique syrienne.
Encore balbutiante il y a quelques années, la prise en compte du volet cyberespace dans les conflits est acquise pour un grand nombre de pays aujourd'hui qui, à l'image des Etats-Unis, institutionnalisent la cyberdéfense via l'installation d'un cybercommandement, soulignent les chercheurs.
"Via ce processus d'institutionnalisation, on décide qu'il n'y aura pas de conflit ou de maintien de la paix sans cette dimension cyber", indique Daniel Ventre.
Si on imagine des conflits armés dans lesquels le cyber va être systématiquement impliqué, des affrontements uniquement cybers ne sont pas encore envisagés, soulignent les analystes.
Reste à déterminer quelle place le cyberespace occupera aux côtés des armées traditionnelles : que faire face à des acteurs qui ne sont pas armés pour faire du cyber? Ces nouveaux acteurs seront-ils en mesure d'être plus forts que les acteurs militaires?
"On est encore dans une phase de test, on se cherche un peu", indique le chercheur. Pour l'heure, "les Etats s'interdisent beaucoup de choses parce qu'ils ne maîtrisent pas forcément les effets", recherchés comme secondaires.
UN ENJEU ECONOMIQUE
Dans le cas du virus Stuxnet, le premier effet s'est traduit par le blocage d'un certain nombre de centrifugeuses, "le second effet était lui plus politique" et a poussé l'Iran a s'armer de capacités cyber offensives notamment".
Des effets non maîtrisés ou non anticipés initialement qui contiennent un risque d'engendrer un certain "chaos", souligne Nicolas Diaz de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).
"Dans ce type d'exercices, on est à peu près dans l'apprenti-sorcellerie", dit-il.
Au-delà de l'enjeu en matière de défense, le cyberespace alimente toute une industrie.
"Quand les dirigeants politiques prennent la parole (en matière de cyberdéfense), ce n'est pas seulement une question de sécurité mais également d'économie", indique Daniel Ventre, citant le cas d'Israël.
L'Etat hébreu, qui a annoncé début 2014 la création d'un parc "cyber-sécurité" dans le sud du pays, compte plus de 200 entreprises liées à la cyberindustrie.
"Derrière, il y a une économie, une industrie qui est en train de se créer, des relations entre l'armée et le secteur industriel, des passerelles entre les deux mondes", souligne le chercheur.