"Le franc CFA pose un problème politique et de souveraineté", assure l'auteur de "L'urgence africaine", publié cet automne aux éditions Odile Jacob, dans un entretien accordé avant la réunion traditionnelle des ministres des Finances de la zone franc vendredi à Paris.
M. Nubukpo, doyen de la faculté des sciences économiques de Lomé, n'hésite pas à qualifier cette rencontre en France et la réunion annuelle du FMI, qui se déroule dans la foulée à Washington, comme "la route de la servitude" pour les autorités africaines.
"A Paris, on va leur rappeler le catéchisme du monétarisme et de l'ordo-libéralisme. A Washington, on va leur expliquer que leurs budgets doivent être équilibrés", regrette-t-il, convaincu que les pays membres du franc CFA subissent "une austérité monétaire qui s'ajoute à la budgétaire".
A ses yeux, les ministres de la zone franc, formés pour nombre d'entre eux au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale, "sont des dirigeants offshore qui ne rendent pas compte à leur population, mais à leurs employeurs originels".
"Le fait d'être des bons élèves de la doxa financière internationale domine celui de produire des politiques publiques pour le plus grand nombre. Cela a créé progressivement deux mondes", constate M. Nabukpo, dont le discours contre les élites africaines déplaît à ses adversaires.
Selon lui, même si le franc CFA a stabilisé l'inflation dans les 15 pays qui l'ont adopté, il renvoie "à un schéma de la colonie".
"Ce qui enflamme la jeunesse africaine et la diaspora, c'est que les réserves de change soient basées au Trésor français, que les billets CFA soient imprimés en France ou encore que l'acronyme CFA renvoie à la colonisation", s'agace l'économiste.
"Le franc CFA est aussi l'assurance tous risques que le Trésor français accorde aux dictateurs africains en contrepartie de leur mauvaise gouvernance. Sans lui, les Chinois feraient probablement plus attention" à leurs investissements et aux prêts qu'ils accordent, a-t-il ajouté.
"Je pense que Paris est le cocu de cette histoire parce qu'il garantit une monnaie, rémunère des réserves de change et, au final, se fait insulter par toute la jeunesse africaine", a constaté l'économiste, pour qui le président Emmanuel Macron est conscient de cette situation.
Pour remédier à cette situation, l'économiste propose une réforme du franc CFA, qui commencerait par un choix "symbolique": le changement de nom.
Il suggère aussi de déplacer les réserves de change du Trésor et de "les mettre à la Banque des règlements internationaux (BRI), comme l'a fait Madagascar" ou à la Banque centrale européenne (BCE), dont la présidence sera assumée à partir de cet automne par la Française Christine Lagarde qui connaît bien la zone franc pour avoir dirigé Bercy (2007-2011), puis le FMI.
Enfin, il souhaite aussi une modification du "régime de change pour passer à une monnaie héritière du CFA plutôt rattachée à un panier de devises et pas au seul euro".
Grâce à cette réforme, "la porte serait ouverte pour que les pays qui ont le même profil économique que ceux de la zone franc, comme le Ghana, la Sierra Leone ou le Libéria puissent entrer dans ce nouvel attelage institutionnel", a-t-il souligné.
M. Nubukpo voit d'ailleurs d'un bon oeil le projet de monnaie unique de l'Afrique de l'Ouest, appelée l'eco, qui sonnerait le glas du franc CFA s'il voyait le jour.
Les quinze membres de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) - dont le Ghana - se sont mis d'accord fin juin pour l'adoption à l'horizon 2020 de cette devise.
Mais M. Nubukpo se demande si les pays de la zone franc accepteront "un transfert de leadership de Paris à Abuja", la capitale du Nigeria, une économie qui représenterait à "elle seule les trois quarts du PIB de la Cédéao".
Une "servitude": voilà comment l'économiste togolais Kako Nubukpo décrit le franc CFA dans un entretien à l'AFP, à l'occasion de la publication d'un livre à charge contre les élites économiques africaines et les institutions financières internationales.