Le Maroc toujours sans gouvernement, les négociations dans l'impasse

Le roi du Maroc Mohammed VI à droite, parle avec le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane à Casablanca, Maroc, le 10 octobre 2016

Coup de théâtre et retour à zéro: après trois mois d'interminables négociations, le Premier ministre Abdelilah Benkirane a annoncé ce weekend mettre fin aux négociations pour la formation d'un futur gouvernement de coalition.

La situation est inédite dans le royaume en presque vingt ans de règne de Mohammed VI: un pays sans gouvernement désigné depuis trois mois, avec des négociations qui semblent dans l'impasse.

Après la victoire de son parti islamiste, le Parti justice et développement (PJD), aux législatives d'octobre, M. Benkirane avait été reconduit par le roi à la tête du gouvernement de coalition qu'il dirige depuis cinq ans, une alliance hétéroclite de quatre formations rassemblant islamistes, libéraux et ex-communistes.

Sitôt de retour à son poste, Abdelilah Benkirane avait alors multiplié les rencontres avec les autres chefs de partis pour former une coalition, sans pour autant parvenir à atteindre les 198 sièges minimum à même de lui assurer un vote de confiance au Parlement.

Les discussions ont rapidement tourné au face-à-face avec un personnage inattendu, le milliardaire et ministre sortant de l'Agriculture, Aziz Akhannouch, qui s'est vite "placé en faiseur d'alliances et en véritable homme fort du (futur) gouvernement", analyse pour l'AFP Abdellah Tourabi, chercheur et chroniqueur politique marocain.

Porté à la tête du Rassemblement national des Indépendants (RNI) au lendemain des législatives, M. Akhannouch, l'une des plus grosses fortunes du continent et que l'on voit souvent aux côtés de Mohammed VI, a exigé la mise à l'écart d'emblée du parti de l'Istiqlal, allié de Benkirane, de la future coalition.

Inacceptable pour le Premier ministre, qui a multiplié les discussions avec les autres partis pour contourner l'obstacle. Mais a finalement dû céder aux exigences d'Akhannouch, aidé en cela par une bourde diplomatique du patron de l'Istiqlal, unanimement condamné par toute la scène politique marocaine et qui s'est retrouvé de facto écarté des négociations.

On en était là début janvier, avec la perspective de voir le bout du tunnel, et des propositions de Benkirane à ses quatre partenaires de l'ex-majorité -dont le RNI d'Akannouch- pour reformer une coalition à l'identique. "Enfin le déblocage!", "la majorité sortante sera reconduite", écrivait alors la presse marocaine, s'accordant à dire que l'annonce du nouveau gouvernement était imminente.

'Etage supérieur'

Tout ce bel édifice s'est écroulé en moins de 24 heures ce weekend, par communiqués interposés: le RNI a exigé d'associer aux négociations deux formations, l'Union constitutionnelle (UC) et l'Union socialiste des forces populaires (USFP). Fin de non-recevoir pour Benkirane, qui a donc annoncé mettre fin à ses négociations avec Akhannouch.

"L'objectif d'Akhannouch semble évident: priver Benkirane d'oxygène", estime le politologue Mohamed Ennaji. Et au final, "affaiblir le chef du gouvernement" et le PJD, sorti grand vainqueur des législatives, décrypte Mohammed Madani, autre politologue et enseignant à l'université de droit de Rabat.

"Akhannouch n'agit pas de manière autonome, il est le porte-parole du centre du pouvoir (...) Il s'agit de montrer que ce qui compte ce n'est pas tant le poids électoral mais la proximité avec le palais", selon M. Madani.

En mettant fin brusquement aux négociations avec le RNI, le chef du gouvernement, de son côté, "a changé de tactique" pour "faire remonter le problème à un étage supérieur", analyse-t-il.

Arbitre au-dessus des partis, le roi pourrait donc être obligé de descendre dans l'arène et intervenir pour débloquer la situation. "La Constitution est muette au cas où le chef de gouvernement désigné n'arriverait pas à former sa majorité. Il revient donc au roi d'interpréter le texte constitutionnel", rappelle M. Tourabi.

La première éventualité -peu probable- serait le recours à de nouvelles élections. La nomination d'un nouveau Premier ministre est possible, "mais serait source de tensions politiques" avec le PJD, fort de son succès aux législatives. "Une autre éventualité est une nouvelle intervention du roi pour demander la reprise des négociations, toujours sous la direction de Benkirane".

Un conseil des ministres du gouvernement sortant, présidé par le souverain, et qui devait avoir lieu lundi, a été reporté sans explication officielle. Il pourrait se tenir finalement mardi, selon la presse locale. Réuni lundi soir à Rabat, l'état-major du PJD a exprimé son soutien à M. Benkirane dans sa décision de "suspendre les discussions" avec M. Akannouch.

Avec AFP