Le Mozambique aspiré dans la spirale de la violence djihadiste

Lors des funérailles de Afonso Dhlakama à Beira, Mozambique, le 9 mai 2018.

Cette fois, ça ressemble à une véritable guerre. Une guerre avec son lot de combats meurtriers entre soldats et insurgés, de victimes civiles et de destructions. Une guerre loin des regards, à l'ombre de la jungle et des plateformes gazières.

Depuis plus de deux ans, un mystérieux groupe d'inspiration islamiste, sans visage et sans revendication, sème la mort et la terreur dans le nord du Mozambique, dans la province à majorité musulmane du Cabo Delgado.

Longtemps, ces "criminels", ainsi que les autorités continuent à les désigner, ont dirigé leurs raids contre la seule population, y faisant plusieurs centaines de morts.

Mais ces derniers mois, le conflit a changé de nature.

L'armée mozambicaine a pris la tête des opérations de maintien de l'ordre dans la province du Cabo Delgado, avec le soutien discret de mercenaires russes. Et le groupe Etat islamique (EI) y est apparu en revendiquant ses premières attaques.

Aujourd'hui le constat est unanime: la violence dans la région est à son comble depuis le début de l'insurrection en 2017.

"On a compté 31 attaques en novembre", détaille une source étrangère place, "le chiffre le plus haut de l'histoire du groupe". "Il y a plus d'incidents, plus souvent, contre plus de cibles et avec une puissance de feu supérieure", confirme un analyste d'une société de conseil en sécurité.

La chape de plomb imposée par les autorités sur la province - les journalistes y sont persona non grata - rend toutefois difficile toute évaluation sérieuse de la situation.

- Dérapage -

Dans un pays toujours marqué par sa longue guerre civile (1976-1992), le ministère de la Défense a essayé de faire croire en octobre qu'il reprenait le dessus et publié des communiqués annonçant "la neutralisation d'un grand nombre de criminels".

Mais depuis plus de deux mois, il reste muet. Et sur le terrain, ses roulements de tambour sonnent creux.

"La situation se dégrade, elle dérape même", confie un habitant de Mocimboa da Praia, "les insurgés attaquent les centres administratifs, même quand ils sont protégés par l'armée".

L'armée mozambicaine semble en grande difficulté. "Elle ne contrôle pas ce qui se passe", affirme l'analyste indépendante Jasmine Opperman. "Les soldats ont peur, ils ne veulent plus sortir la nuit, ni quitter leurs véhicules".

Les attaques qui les visent se multiplient. Le 6 décembre, un convoi militaire est tombé dans une embuscade dans le village de Narere. "Entre 9 et 14 soldats ont été tués et trois véhicules détruits", a rapporté un villageois à l'AFP.

L'arrivée en septembre de 200 soldats de la compagnie de sécurité privée russe Wagner, équipés d'hélicoptères et de drones, n'y a semble-t-il rien changé.

Plusieurs sources locales ont rapporté à l'AFP la présence de ces "soldats blancs" aux côtés des troupes mozambicaines et ajouté qu'ils avaient subi de "lourdes pertes".

- "Raclée russe" -

Sans surprise, ni Maputo, ni Moscou n'en ont rien confirmé.

"Les Russes ont commencé à lancer des opérations assez lourdes, ça a tapé assez fort. Mais ça a été un coup d'épée dans l'eau", estime l'analyste de la société de conseil. "Les Russes ont pris une raclée", renchérit la source étrangère.

Le chef de l'opposition mozambicaine a publiquement dénoncé le recours à ces "chiens de guerre". "Nous refusons cette intervention", a tonné Issufo Momade, "des Mozambicains meurent tous les jours, mais personne ne sait ce qui se passe dans le Cabo Delgado".

L'entrée en scène du groupe Etat islamique (EI) dans ce bourbier a encore un peu plus brouillé les cartes.

Du groupe des "Shabab" (les jeunes en arabe), comme le désigne la population locale, on sait qu'il s'est formé autour de jeunes de la région, une des plus pauvres du pays, adeptes d'un islam intégriste et formés en Tanzanie ou en Somalie.

Mais l'idéologie et les objectifs de ces djihadistes "fantômes" qui n'ont jamais publié de communiqué restent un mystère.

Depuis juin, l'EI a ouvert le front médiatique en s'attribuant une vingtaine d'opérations dans le Cabo Delgado, dont l'attaque du 6 décembre "contre des croisés de l'armée mozambicaine".

Il a aussi publié des photos d'hommes en armes sous son drapeau noir, à bord d'un véhicule de la police mozambicaine. Mais les experts restent perplexes.

- "Risque EI" -

"Certains parlent de propagande opportuniste, d'autres voient des liens qui n'existent pas encore", relève Ryan Cummings, du cabinet de conseil Signal Risk, qui dit ne pas avoir constaté les "changements de tactique" qui signeraient l'entrée en scène du groupe djihadiste omniprésent au Sahel.

"Ignorer les revendications de l'EI est dangereux", avertit Jasmine Opperman. "C'est un fait, le Cabo Delgado est dans leur ligne de mire, avec un risque accru d'enlèvements, d'engins explosifs improvisés et d'attaques contre les humanitaires".

Etat islamique ou pas, le gouvernement refuse toujours de reconnaître la nature islamiste de l'insurrection.

Difficile, quand on sait que les insurgés opèrent à portée de fusil des installations des "majors" comme l'Américain Exxon-Mobil ou le Français Total, qui s'apprêtent à exploiter les immenses réserves sous-marines de gaz de la région.

Début décembre, les autorités ont annoncé une nouvelle offensive contre les "agresseurs". Mais peu croient en sa réussite. Même la Banque centrale mozambicaine s'est inquiétée de la "dégradation de la situation militaire dans le nord".

"Il y a peu de chance que les sociétés de sécurité privées et l'armée parviennent à éliminer l'insurrection", tranche Ryan Cummings. "Tout est en place pour que l'abcès continue à enfler", abonde l'expert en sécurité.

Sur le terrain pourtant, il y a urgence.

Selon une ONG sur place, au moins 90.000 civils ont été déplacés par les combats et survivent dans des conditions très précaires. "On entre dans la saison où les gens ont faim", s'inquiète son responsable, "on est à la veille d'une tragédie humanitaire encore plus terrible".