Le "non" intransigeant à la race de Rachel Khan et Thomas Chatterton Williams

La juriste, écrivaine et actrice française Rachel Khan lors d'une séance photo à Paris le 22 mars 2021.

"Racisé", "métisse", "Afro-descendant", "minorité raciale": aucune déclinaison du concept de races humaines ne trouve grâce chez la Française Rachel Khan et l'Américain Thomas Chatterton Williams, qui appellent à mettre fin à l'obsession de l'identité et de la couleur de peau.

Le hasard a voulu que les deux publient à quelques semaines d'écart, en février et mars, des livres qui avancent des arguments contre la crispation identitaire. "Racée" pour elle (L'Observatoire). "Autoportrait en noir et blanc" (Grasset) pour lui, un ouvrage sorti aux Etats-Unis en 2019.

Tous deux ont subi le même reproche, absurde à leurs yeux: être de droite.

"Certains arguments que je développe sur le fait de transcender les catégories raciales et de cesser de souligner les différences d'identité... Je pense que c'est une position progressiste assez banale", dit à l'AFP l'essayiste américain, 40 ans, qui vit à Paris.

Mais "nous sommes arrivés à un point dans le débat racial américain où il y a une sorte de position antiraciste à gauche qui veut assumer les différences raciales, et faire de la surenchère en la matière. Donc le livre a été étrangement considéré comme de droite, dans certains endroits", ajoute-il.

L'auteur américain Thomas Chatterton Williams, lors d'une séance photo à Paris le 10 mars 2021.

Métisse, terme "problématique"

Rachel Khan, 45 ans, a encore moins bien vécu d'être rangée dans une case, au terme d'un parcours atypique: espoir de l'athlétisme et de la danse classique, juriste, actrice, militante.

"Ce qui me fait mal, c'est que malgré mes propos pour essayer de changer les choses, instaurer un dialogue, promouvoir l'universalisme, les gens pensent que je suis de droite. Pire: d'extrême droite!", remarque-t-elle. "C'est le seul argument. Sauf que ces principes-là, universalistes, c'est la gauche qui les porte normalement, et qui les a inventés".

Dans leur ouvrage, les deux auteurs reviennent longuement sur leurs origines.

Thomas Chatterton Williams a grandi dans le New Jersey, descendant du côté de son père d'anciens esclaves du Texas, et du côté de sa mère d'immigrés allemands à Baltimore.

Il se définit comme un "ex-homme noir", celui qui arrache cette étiquette et fait le rêve d'un avenir où ses enfants, dont la mère est Française, seront libres de ne jamais penser, ne jamais s'expliquer au sujet de leur supposée "race".

Le définir comme métisse ("mixed race" en anglais) ne lui convient pas: "Je rejette le terme, parce que je pense qu'il est en vérité problématique d'un point de vue conceptuel. Dire que certains sont métisses implique que d'autres sont de race pure". Or, rappelle-t-il, l'histoire des migrations aussi bien que la génétique montre l'inanité de ces théories.

"Plusieurs racines"

Rachel Khan, Franco-Gambienne qui a grandi en Touraine, se décrit comme "européenne et africaine à la fois, (...) juive aux origines chrétiennes et musulmanes, animiste avant l'islamisation de l'Afrique de l'Ouest, blanche et noire".

"Métisse va avec race. Cela met la race au centre: c'est être 50% d'une race, 50% d'une autre. Si l'idée est d'être vierge de cette notion qui justifie la ségrégation, je ne me reconnais pas du tout dans ce terme. Je suis 100% de mon père, 100% de ma mère, 100% Française, et surtout convaincue qu'il faut prendre un autre chemin", clame-t-elle.

Un chemin plus difficile à trouver que celui des invectives et simplifications. Rachel Khan a choisi de se définir comme "racée", non "racisée", "parce que je porte en moi plusieurs racines que certains prennent pour des races", écrit-elle.

Son combat: la création artistique. Elle est administratrice dans un centre culturel hip hop de la mairie de Paris, La Place. "Il faut que la parole de l'artiste reste libre, qu'elle ne soit pas inféodée (...) J'ai mis du temps à écrire mon livre. Être vindicatif, c'est plus facile".

Thomas Chatterton Williams tente, en écrivant, et sans se désigner d'ennemi, de pacifier un débat tendu.

"Je ne pense pas que tout le monde ait besoin de vivre l'expérience d'avoir une famille mélangée. Mais je pense que ceux qui portent ces origines peuvent éclairer l'absurdité de ces catégories (...) Le racisme n'est pas avant tout une question d'institutions et de systèmes. C'est en fait quelque chose qui naît au niveau des relations entre personnes. C'est un stéréotype qui s'insère entre vous et moi".