Le sort de Mugabe en suspens après le coup de force de l'armée

Un officier de l'armée zimbabwéenne marche dans une rue d'Harare du quartier des affaires, au Zimbabwe, le 15 novembre 2017.

La situation restait confuse jeudi au Zimbabwe, au lendemain d'un coup de force inédit de l'armée qui a placé le président Robert Mugabe, 93 ans, en résidence surveillée après l'avoir soutenu sans faillir pendant ses trente-sept ans de règne.

"Nous n'accepterons jamais le coup d'Etat militaire", a averti jeudi le chef de l'Etat guinéen Alpha Condé, président en exercice de l'Union africaine (UA).

"Nous exigons le respect de la Constitution, le retour à l'ordre constituonnel, et nous n'accepterons jamais le coup d'Etat militaire", a déclaré M. Condé dans une interview à quelques journalistes français à Paris.

L'intervention des militaires, qui ont pris le contrôle des sites stratégiques de la capitale Harare, pourrait sonner le glas du dernier régime africain conduit par un "Père de la libération", cette génération de chefs nés de la lutte pour l'indépendance.

En dépit des apparences, les généraux ont affirmé ne pas avoir l'intention de renverser le gouvernement.

"Nous ne faisons que viser les criminels qui entourent" le plus vieux dirigeant en exercice de la planète, a affirmé leur porte-parole, le général Sibusiyo Moyo, dans son allocution à la télévision nationale dans la nuit de mardi à mercredi.

Les "criminels" n'ont pas été nommés mais désignent explicitement les soutiens de la Première dame Grace Mugabe, une frange du parti au pouvoir, la Zanu-PF, regroupée sous le nom de G40 en référence à leur âge.

La deuxième épouse du "camarade Bob" ne faisait plus mystère depuis des mois de sa volonté de succéder à son époux.

Elle a fini par obtenir de lui, la semaine dernière, le limogeage du vice-président Emmerson Mnangagwa, 75 ans, un militant historique du combat pour l'indépendance, proche des militaires et présenté jusque-là comme son dauphin.

Cette éviction a poussé l'armée à réagir. Lundi, son chef d'état-major, le général Constantino Chiwenga, avait très clairement prévenu que ses troupes pourraient "intervenir" si la "purge" ne cessait pas au sein du parti présidentiel.

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Les militaires prennent le pouvoir au Zimbabwe (vidéo)

Tout sauf Grace

"A la veille du congrès (de la Zanu-PF le mois prochain), l'armée redoutait d'hériter d'un président qui ne lui convenait pas, à savoir Grace", résume à l'AFP Knox Chitiyo, du centre de réflexion Chatham House. "Il lui fallait agir en urgence pour l'éviter".

Son entrée en scène s'est faite en douceur. Quelques coups de feu ont été tirés dans la nuit de mardi à mercredi près de la résidence du président, où il était toujours retenu jeudi.

L'intervention des militaires a été accueillie avec flegme par les habitants d'Harare, qui continuaient à travailler ou à vaquer à leurs occupations comme si de rien n'était.

Certains se sont réjouis d'entrevoir le départ du président.

"Nous espérons que le Zimbabwe sera meilleur une fois sorti de l'ère Mugabe", a confié à l'AFP Tafadzwa Masango, un chômeur de 35 ans. "Notre situation économique se dégrade de jour en jour, il n'y a plus d'emploi, plus de travail".

Le porte-parole de la Zanu-PF, Simon Khaya Moyo a lui aussi tenu à minimiser le caractère exceptionnel de la situation. "C'est normal, tout est normal dans le parti", a-t-il assuré à l'AFP.

Que vont faire désormais les militaires ? Vont-ils imposer le retour de M. Mnangagwa ? Entamer des discussions pour mettre en place un gouvernement de transition ? Forcer Robert Mugabe à la démission ? Prévoir des élections anticipées ?

Toutes les hypothèses sont encore sur la table, sans qu'aucun gradé ne soit jusque-là venu dissiper le mystère.

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Réactions de Jacob Zuma sur la crise au Zimbabwe (vidéo)

'Solution rapide'

"Les militaires veulent une solution rapide", estime Knox Chitiyo. "Ils veulent que Mugabe signe sa démission, au plus vite. Ensuite ils veulent un président de transition, qui serait probablement Mnangagwa", poursuit l'analyste.

Face à ce qui ressemble plus à une guerre interne au parti au pouvoir qu'à un changement de régime, le principal parti d'opposition, le Mouvement pour un changement démocratique (MDC), est resté pour l'heure prudemment en retrait.

Ecartée dès 2014 sur ordre de Grace Mugabe, l'ex-vice-présidente Joyce Mujuru, alliée du MDC, a refait surface jeudi.

"Il ne fait aucun doute qu'il nous faut un accord de transition qui doit traiter de la reprise économique et de la réforme électorale", a-t-elle estimé devant la presse.

Emblème de la fronde qui a secoué le pays en 2016, le pasteur Evan Mawarire s'est déclaré lui aussi prêt à discuter avec l'armée. "En tant que citoyens, nous ne pouvons rester les bras croisés", a-t-il plaidé sur Facebook, "nous devons participer".

Les capitales étrangères ont accueilli avec inquiétude l'entrée en scène de l'armée, jusque-là un pilier indéfectible du régime.

Fidèle soutien de M. Mugabe, le président sud-africain Jacob Zuma, fidèle soutien de M. Mugabe, s'est dit "très préoccupé" par la situation au Zimbabwe.

L'organisation régionale d'Afrique australe (SADC) qu'il préside doit se réunir jeudi en urgence au Botswana.

Avec AFP