Pull à capuche, casquette et lunettes de soleil, vêtu de noir comme à son habitude, Durov s'est engouffré mercredi soir dans le véhicule qui l'attendait à sa sortie du palais de justice de Paris, après avoir remercié son avocat d'une accolade. Si le milliardaire de 39 ans a été libéré, il est astreint à un contrôle judiciaire lourd, prévoyant un cautionnement de cinq millions d'euros, un pointage au commissariat deux fois par semaine, et l'interdiction de quitter le territoire français.
Personnalité énigmatique, M. Durov fait face à de nombreux chefs d'accusation pour son refus de toute modération sur la messagerie Telegram, qu'il a cofondée et qui compte plus de 900 millions d'abonnés. Selon le parquet de Paris, M. Durov est notamment inculpé pour "refus de communiquer les informations nécessaires aux interceptions autorisées par la loi" et complicité de délits et de crimes organisés via la plateforme: trafic de stupéfiants, pédocriminalité, escroquerie et blanchiment en bande organisée.
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"Il est totalement absurde de penser que le responsable d'un réseau social puisse être impliqué dans des faits criminels qui ne le regardent pas, ni directement ni indirectement", a réagi l'avocat du milliardaire Me David-Olivier Kaminski. A Moscou, le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov a averti jeudi que ces poursuites contre un "citoyen russe" ne devaient pas "se transformer en persécution politique". Parmi les soutiens notoires à M. Durov, on trouve le lanceur d'alerte américain établi en Russie Edward Snowden et le magnat de la technologie Elon Musk.
Au moins quatre passeports
Pavel Durov a été arrêté samedi soir à l'aéroport du Bourget proche de Paris et sa garde à vue s'est achevée mercredi après-midi. Selon une source proche du dossier, M. Durov et son frère Nikolaï, co-fondateurs de Telegram, faisaient l'objet depuis mars de mandats de recherche émis par la justice française dans le cadre d'une enquête préliminaire. Une seconde enquête a par ailleurs été ouverte contre M. Durov pour des "violences graves" commises à Paris sur l'un de ses fils né en 2017, a indiqué une autre source proche du dossier à l'AFP mercredi. Les liens complexes de Pavel Durov - dont la fortune est estimée en 2024 par Forbes à 15,5 milliards de dollars - avec les autorités russes comme avec celles de ses pays d'adoption suscitent de nombreuses interrogations sur les raisons et le timing de son arrestation.
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Il a quitté la Russie en 2014, alors en délicatesse avec le Kremlin pour avoir refusé de remettre aux services de sécurité russes (FSB) les données personnelles d'utilisateurs, notamment celles de militants pro-européens ukrainiens, sur un autre réseau social lancé en 2006, VKontakte (VK), devenu le plus utilisé dans son pays d'origine - et repris depuis par des proches du pouvoir. Fondée en 2013, la messagerie Telegram, qui a toujours affirmé respecter les lois européennes, s'est engagée à ne jamais dévoiler d'informations sur ses utilisateurs. Pavel Durov, installé à Dubaï, a obtenu la nationalité des Emirats arabes unis puis celle de l'île caribéenne Saint-Kitts-et-Nevis, avant d'y ajouter, en août 2021, la citoyenneté française grâce à une procédure rare sur laquelle Paris reste très discret.
Interrogations nombreuses
Son départ de Russie n'aurait toutefois pas été un exil brutal : selon le site russophone Vazhnye Istorii, citant des informations ayant fuité des autorités frontalières, il s'y serait rendu plus de 50 fois entre 2015 et 2021. Selon une source proche du dossier, Pavel Durov a par ailleurs évoqué durant sa garde à vue ses liens avec le président français Emmanuel Macron, qui s'est défendu lundi de toute interférence politique, assurant que l'arrestation de M. Durov relevait "d'une enquête judiciaire".
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Le quotidien Le Monde a fait état de plusieurs rencontres entre le PDG de Telegram et Emmanuel Macron avant l'obtention par le chef d'entreprise de la nationalité française via une procédure spéciale réservée aux personnalités ayant apporté une contribution particulière à la France. Le Wall Street Journal a aussi affirmé que le président Macron lui avait, lors d'un déjeuner en 2018, suggéré d'installer le siège de l'application à Paris. En vain.
Dans une rare interview au journaliste ultra-conservateur américain Tucker Carlson, le libertarien revendiqué louait récemment les Emirats comme "un endroit formidable" pour abriter Telegram, en raison de leur "neutralité". Un responsable émirati a assuré à l'AFP être "en contact avec les autorités françaises au sujet de cette affaire et avec les représentants de Pavel Durov".