Il doit rencontrer le président Hassan Rouhani et le Guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamanei, du 12 au 14 juin, première visite d'un Premier ministre nippon depuis 1978, au moment où l'Iran et les Etats-Unis sont pris dans un bras de fer.
Le président américain Donald Trump a retiré unilatéralement en mai 2018 son pays de l'accord international sur le nucléaire iranien conclu à Vienne en 2015, ce qui a entraîné le rétablissement de dures sanctions économiques contre l'Iran.
Washington a également déployé d'importants moyens militaires dans le golfe et fait pression sur des alliés tels que le Japon pour qu'ils cessent d'acheter du pétrole iranien.
Mais des responsables gouvernementaux ont précisé que M. Abe ne se rendait pas à Téhéran muni d'une liste de demandes ou porteur d'un message en provenance de Washington. L'idée est plutôt de faire en sorte que le Japon soit vu comme une partie neutre avec laquelle les deux côtés peuvent discuter.
"Le Japon n'a pas les marques historiques ou religieuses d'autres médiateurs potentiels (...) et a fait la preuve de sa volonté de mener sa barque lui-même en ce qui concerne sa politique au Moyen-Orient", souligne Michael Bosack, conseiller en relations intergouvernementales au Yokosuka Council on Asia-Pacific Studies.
- "Obstacles considérables" -
"Ces facteurs placent M. Abe dans une meilleure position pour s'adresser à l'Ayatollah Khamenei et signifient que les options proposées par le Japon peuvent donner des portes de sortie aux durs du gouvernement iranien sans les risques que poserait pour eux le fait d'accepter des solutions +occidentales+", a-t-il dit à l'AFP.
"Il nous semble très important qu'au niveau le plus haut nous appelions l'Iran, en tant que puissance régionale, à faire baisser la tension, à se conformer à l'accord nucléaire et à jouer un rôle constructif dans la stabilité de la région", avait déclaré récemment le porte-parole du gouvernement japonais Yoshihide Suga.
En Iran les commentateurs jugent eux possible que M. Abe se charge de véhiculer des messages entre les deux pays.
"La visite de M. Abe intervient juste après celle de M. Trump au Japon et les Américains ont donc intérêt à utiliser ce canal", a déclaré Ebrahim Rahimpour, ancien ministre adjoint des Affaires étrangères, au quotidien iranien Shargh. L'Iran "va faire valoir nos droits et notre position et l'autre côté pourra faire connaître les messages qui seront ceux du président américain", a-t-il ajouté.
Mais si le Japon peut se targuer d'avoir des relations de longue date avec Téhéran et des liens solides avec Washington, il n'en reste pas moins selon les experts que M. Abe a peu de marge de manoeuvre d'un côté comme de l'autre.
Le voyage de M. Abe "va rencontrer des obstacles considérables et a peu de chance d'être fructueux", estime Tobias Harris, analyste chez le consultant Teneo, dans une note publiée avant la visite prévue du 12 au 14 juin. "Le Japon a de bonnes relations avec les deux pays mais cela ne se traduit pas forcément en influence", a-t-il ajouté.
- "Navettes diplomatiques" -
Le Japon n'est pas uniquement le messager: ses propres intérêts sont aussi en jeu. Avant le retour des sanctions américaines, il importait environ 5% de son brut d'Iran et il souffrirait d'une hausse du cours du pétrole.
Le voyage offre par ailleurs à M. Abe une occasion rare de jouer un rôle d'homme d'Etat sur la scène internationale, en particulier après les récentes déceptions japonaises dans ce domaine.
Les efforts manifestés par M. Abe pour résoudre le différend territorial entre la Russie et le Japon sur un groupe d'îles ont échoué.
Le Japon s'est par ailleurs trouvé à l'écart des manoeuvres diplomatique sur la Corée du Nord, point chaud probablement le plus prégnant pour lui.
M. Abe "a besoin d'un coup diplomatique alors qu'il se trouve dans une impasse sur la Russie et la Corée du Nord", commente Tetsuro Kato, professeur de sciences politiques à l'Université Waseda de Tokyo.
Mais "le Japon n'a jamais joué de rôle actif dans les problèmes du Moyen-Orient", a dit M. Kato à l'AFP. "Je ne m'attends pas à grand chose en termes de résultats".
Pour M. Bosack, il serait "irréaliste" de prévoir des résultats rapides.
"Pour le moment l'urgence est de réduire les risques de conflit militaire, ce qui veut dire que M. Abe peut utiliser les navettes diplomatiques pour maintenir le contact", dit-il.
"Cette diplomatie du va-et-vient peut suffire pour faire baisser les tensions".
Avec AFP