Tout a commencé avec des déclarations incendiaires du général Yasser Atta, numéro deux de l'armée, accusant Abou Dhabi d'être "un Etat-mafia" qui a "pris le chemin du mal" en soutenant les très redoutés paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Daglo au Soudan.
Lire aussi : Une "catastrophe alimentaire" menace le Soudan en guerreDans une harangue enflammée à ses troupes le 28 novembre, il a encore accusé les Emirats d'avoir envoyé depuis le début de la guerre le 15 avril des armes aux FSR via l'Ouganda et la Centrafrique "avec l'aide de Wagner", le groupe de mercenaires russes un temps fortement implanté à Bangui.
"Avec l'affaiblissement de Wagner, leurs avions sont passés par le Tchad. Depuis une semaine, ils se posent même à l'aéroport de N'Djamena", a-t-il encore lancé, pointant également du doigt le maréchal Haftar, l'homme fort de l'Est de la Libye. Ce circuit, des experts l'évoquaient depuis le début de la guerre. Contactées par l'AFP, les autorités émiraties n'ont pas donné suite.
"Prudent et diplomate"
En août, le journal américain Wall Street Journal avait cité des responsables ougandais affirmant avoir trouvé des armes dans un avion-cargo censé transporter de l'aide humanitaire émiratie à des réfugiés soudanais au Tchad.
Mais, note Jalel Harchaoui, chercheur associé auprès de l'institut britannique Royal United Services (RUSI), "jusqu'à récemment, le camp du général Burhane était prudent et diplomate, évitant toute confrontation verbale directe avec des acteurs-clés comme Haftar, la Russie ou Abou Dhabi". Les déclarations du général Atta ont fait voler cette réserve en éclat.
Le chercheur Alex de Waal, affirme, lui, que cheikh Mohamed ben Zayed al-Nahyane, le président des Emirats arabes unis, soutenait le général Daglo, notamment parce qu'il lui avait "fourni des paramilitaires pour la guerre saoudo-émiratie au Yémen". En outre, ajoute-t-il, "Daglo bénéficie du commerce de l'or qui profite également aux Emirats". Et a permis, selon Washington, de financer une part des opérations de Wagner.
Pour l'expert Andreas Krieg, "l'histoire des Emirats au Soudan est une histoire de réseaux, tissés par Abou Dhabi pour parvenir à des objectifs stratégiques avec discrétion et la possibilité de démentir". C'est pour cela, assure à l'AFP M. Harchaoui, que les rares accusations qui ont émergé sur l'implication des Emirats au Soudan ont été jusqu'ici "tièdes" en dépit d'un "soutien significatif de l'Est de la Libye, de la Russie et des Emirats" aux FSR. En août d'ailleurs, les Emirats arabes unis avaient fermement démenti les informations du Wall Street Journal.
"Une impasse"
Mais en novembre de nouveau, des manifestants soudanais avaient conspué les Emirats arabes unis. Peu après, selon le ministre des Affaires étrangères nommé au Soudan dans la foulée du putsch d'octobre 2021, Ali Seddig, loyal à l'armée, Abou Dhabi a expulsé des diplomates soudanais.
"Nous n'avons pas demandé d'explications aux Emirats alors que nous avions des informations sur leur implication dans la guerre", a-t-il affirmé à la télévision d'Etat. "Mais c'est eux qui ont commencé par expulser nos diplomates donc nous avons dû répondre".
Dimanche, les Affaires étrangères soudanaises ont déclaré 15 diplomates émiratis persona non grata, donnant "48 heures" à leur ambassade pour qu'ils "quittent le pays". "C'est parce que nous étions dans une impasse avec les Emirats que ces déclarations ont été faites", a justifié M. Seddig.
Pour M. Harchaoui, il s'agit du "geste désespéré" d'une force "dont les options se réduisent" notamment sur le terrain militaire, face à des FSR qui tiennent Khartoum au sol ainsi que la quasi-totalité du Darfour et de plus en plus de pans du sud du pays. "Avec un geste téméraire", le camp de l'armée, "espère sûrement attirer l'attention et des condamnations de l'approvisionnement illégal en armes des FSR par les Emirats", décrypte M. Harchaoui.