Le vice-président du Nigeria, artisan de la paix dans le Delta?

Le vice-président Yemi Osinbajo du Nigeria, 17 janvier 2017.

Pendant que le président nigérian Muhammadu Buhari était en congé maladie à Londres, son vice-président Yemi Osinbajo négociait avec les rebelles de la région pétrolière du delta du Niger (sud), une avancée redonnant espoir au Nigeria de sortir de la crise.

M. Buhari, qui allie froideur militaire d'un ancien général et santé fragile d'un homme de 74 ans, s'aventure rarement hors de la capitale Abuja. Aux antipodes de M. Osinbajo: ancien pasteur et avocat, avenant et réputé pour son sens de la diplomatie, qui, pendant les plus de deux mois d'absence du président, a sillonné le pays.

Et ses déplacements dans la grande région troublée du delta du Niger, moteur économique du Nigeria qui tire l'immense majorité de ses ressources du pétrole, resteront sans doute les plus productifs.

Sans ramener une paix officielle, ils auront néanmoins permis de dégeler les rapports entre cette région du Sud et le pouvoir fédéral.

"Nous devons agir rapidement et c'est ma mission", avait déclaré M. Osinbajo lors de son déplacement à Warri, capitale de l'Etat du Delta, à la mi-janvier. Dès le 25 février, dix rebelles étaient libérés après deux mois de détention.

Un an auparavant, le groupe rebelle des Vengeurs du delta du Niger (NDA) avait décidé de mettre l'économie du pays à genoux pour revendiquer, officiellement, une meilleure redistribution des richesses du pétrole.

Ils prévenaient également Abuja, par la violence, de ne pas mettre fin aux accords d'amnistie mis en place par le gouvernement précédent, suite à des attaques similaires sur des installations pétrolières au début des années 2000.

De nombreux groupes, dissidents des NDA, ont pullulé au cours de l'année 2016, faisant exploser des oléoducs et gazoducs, et entraînant le pays dans une grave crise économique et énergétique.

L'un des militants libérés a rencontré l'AFP dans sa résidence de Yenegoa, dans l'Etat de Bayelsa. Il reconnaît que "Osinbajo a vraiment fait des efforts dans le processus de paix".

"Mon conseil au gouvernement est de marcher dans les pas d'Osinbajo pour rétablir la paix", poursuit-il.

Alors M. Buhari envoyait l'armée pour mater les rebelles, M. Osinbajo a parlé de libération de prisonniers, de développement économique et social.

Mais l'une des conditions des dirigeants du delta du Niger est plutôt surprenante: ils exigent le retour de l'épée d'Egbesu, une relique traditionnelle dérobée par les troupes nigérianes lors d'une incursion dans une mangrove, bastion du NDA.

Ils réclament également la reprise des travaux de "l'université maritime", à la périphérie de Warri, interrompus à l'arrivée au pouvoir de M. Buhari en 2015.

Le vice-président "ne fait pas que parler. Il agit", se réjouit Udengs Eradiri, ancien représentant de la communauté locale des Ijaw, "nous lui sommes reconnaissants d'avoir abordé ces pourparlers avec un esprit ouvert."

- Chez eux -

Abuja, et surtout l'entourage proche du président, répète à l'envi que M. Osinbajo ne fait qu'appliquer les directives de son supérieur, inquiet de cette victoire politique que le pays attend depuis plus d'un an.

"Toute tentative de démarquer l'action du président de celle du vice-président est un exercice futile", a affirmé Femi Adesina, porte-parole de la présidence.

Mais pour les experts, il est incontestable que M. Osinbajo a eu un rôle positif, surtout en rencontrant, en personne et chez eux, de nombreux dirigeants régionaux et communautaires.

"Il s'est intéressé aux communautés de la région et pas uniquement aux responsables des attaques", constate Dirk Steffen, analyste en sécurité pour Risk Intelligence, un cabinet de conseil international.

La situation semble apaisée. Aucune attaque n'a eu lieu ces derniers mois et le pays peut envisager de revenir à une production de 2,2 millions de barils par jour, ce qui l'aiderait à sortir de la récession actuelle.

Mais la question reste de savoir si M. Buhari, de retour depuis le 10 mars au Nigeria et qui a repris les commandes, saura maintenir cette paix précaire.

Les tensions commencent déjà à resurgir. D'anciens rebelles, qui reçoivent 65.000 nairas (189 euros) d'allocations au titre des précédents accords d'amnistie, ont affirmé ne pas avoir été payés depuis décembre.

La situation est sensible, estime M. Steffen, qui souligne que la paix reste relative.

"Il y a beaucoup d'indices, doublés d'un pré-sentiment général qui nous laissent penser que les attaques violentes n'appartiennent pas au passé", explique le consultant.

"Les armes, les explosifs sont toujours largement disponibles dans la région, et les groupes armés ne disparaissent pas du jour au lendemain."

Avec AFP