Les Algériens dans la rue après un appel au départ du président par ses fidèles

Des avocats algériens défilent à Alger, le 23 mars 2019, pour demander le départ du président Abdelaziz Bouteflika à la fin de son mandat prévu le 28 avril.

Les Algériens s'apprêtent à dire à l'armée vendredi, jour hebdomadaire de manifestations, si sa proposition d'écarter le président Abdelaziz Bouteflika suffit à calmer la contestation contre le régime.

En prônant mardi la mise en oeuvre de mécanismes constitutionnels pour écarter M. Bouteflika, le général Ahmed Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée depuis 15 ans et jusque-là soutien indéfectible du président, a rapidement rallié à sa cause l'essentiel de ceux qui étaient les plus zélés prosélytes du chef de l'Etat.

Ceux qui, pendant des mois, ont poussé la candidature du président Bouteflika à un cinquième mandat, détonateur de la contestation, s'en écartent désormais.

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Jeudi, Ali Haddad a annoncé sa démission du Forum des chefs d'entreprises (FCE), principale organisation patronale algérienne, qu'il présidait. Son organisation était devenue un instrument de soutien politique au chef de l'Etat et d'appui à sa candidature à un cinquième mandat.

Avant lui, c'est le Rassemblement national démocratique (RND), pilier de la majorité, qui a lâché Abdelaziz Bouteflika, par l'intermédiaire de son patron, Ahmed Ouyahia. Encore Premier ministre il y a moins d'un mois, celui-ci a demandé au chef de l'Etat de démissionner.

Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l'UGTA, principale centrale syndicale du pays, qui chantait il y a peu encore les louanges du président, se range désormais lui aussi derrière la proposition du général Gaïd Salah.

- "Règne agonisant" -

Ceux qui "l'ont soutenu dans toutes ses décisions et ont applaudi toutes ses déclarations (...) sont aussi les premiers à le poignarder dans le dos: Bouteflika n'est pas encore complètement tombé qu'ils se précipitent pour accélérer sa chute", note le site internet indépendant Tout sur l'Algérie (TSA), dénonçant le "système dans toute sa laideur".

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Seul le Front de libération nationale (FLN), l'ancien parti unique majoritaire à l'Assemblée, n'a pas encore déserté, mais les dissidences s'y font de plus en plus entendre.

"Dans le système politique algérien, c'est le pouvoir qui créé ses soutiens, ce ne sont pas les soutiens qui donnent le pouvoir", explique jeudi Moustapha Hammouche dans une chronique du quotidien francophone Liberté.

Et le centre de gravité du pouvoir semble s'être déplacé. Depuis deux jours, c'est la photo du général Gaïd Salah qui s'affiche en une du quotidien gouvernemental El Moudjahid. Relais des messages du pouvoir, le journal saluait dès mercredi la proposition du chef d'état-major.

Le départ de M. Bouteflika "est à présent entre les mains du Conseil constitutionnel, seule institution formellement habilitée à enclencher" la procédure proposée par le général Gaïd Salah, permettant de déclarer le chef de l'Etat inapte pour cause de "maladie grave et durable", à moins que celui-ci démissionne, écrit jeudi El Moudjahid.

Le premier secrétaire du Front des forces socialistes (FFS, opposition), Hakim Belahcel, a appelé l'armée à être "garante" de la démocratie et à "uniquement exercer ses missions de défense de l'intégrité territoriale et de la sécurité des citoyens", a rapporté l'agence APS.

Quarante-huit heures après la proposition du chef d'état-major et malgré les défections en série, Abdelaziz Bouteflika est toujours en fonction. "Le règne de Bouteflika est agonisant, même si son clan tente de résister", note l'éditorial du quotidien Liberté.

- "Thermomètre" -

Reste à savoir si l'éventuelle mise à l'écart du président, très affaibli depuis 2013 par les séquelles d'un AVC, suffira à calmer la contestation, à la veille d'un sixième vendredi consécutif de contestation, et à un mois de l'expiration constitutionnelle de son mandat actuel.

Pour le quotidien arabophone, vendredi s'affichera comme "le véritable thermomètre" et sera "l'occasion de découvrir" si la proposition de mettre à l'écart le chef de l'Etat "a fissuré ou non la mobilisation". La semaine dernière, ils avaient été des centaines de milliers de personnes à descendre dans les rues des villes du pays.

Plusieurs soutiens de la contestation, comme l'avocat Moustapha Bouchachi ou la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH), s'opposent déjà à la mise en oeuvre, proposée par l'armée, de l'article 102, permettant la mise à l'écart du chef de l'Etat.

Le processus prévoit des délais trop courts pour garantir une présidentielle libre et transparente explique notamment la LADDH, qui dénonce un "ultime subterfuge" du pouvoir "pour perpétuer le système décrié et rejeté par le peuple".

Le quotidien francophone El Watan dénonce "un énorme piège" et met en garde contre "l'ultime illusion (...) de croire que ce sont des figures du passé (...) qui vont incarner des promesses d'avenir".

"Le régime est désormais pour le départ de Bouteflika, mais le peuple est pour le départ du régime", souligne Liberté.

Des utilisateurs de Facebook publiaient dans la nuit de jeudi à vendredi des photos de rassemblements dont ils disaient qu'ils avaient commencé dès avant minuit sur le parvis de la Grande Poste à Alger, devenu le rendez-vous de manifestations quasi quotidiennes.

Jeudi, quelques centaines d'architectes et d'huissiers de justice s'y étaient rassemblés, certains scandant: "Bouteflika, tu partiras, emmène Gaïd Salah avec toi".

Avec AFP