Les assassins du président haïtien étaient des mercenaires "professionnels"

Le président haïtien Jovenel Moise, à gauche, et la première dame Martine Moise, en rouge, reçoivent la reine d'Espagne Letizia Ortiz au Palais national de Port-au-Prince, Haïti, le mercredi 23 mai 2018.

Les assassins du président haïtien Jovenel Moïse, qui a été tué mercredi, étaient des mercenaires "professionnels" s'étant fait passer pour des agents américains et pourraient avoir déjà quitté le pays, a déclaré l'ambassadeur haïtien aux Etats-Unis.

Les auteurs du meurtre se sont présentés à la résidence du président Jovenel Moïse, disant appartenir à l'agence américaine anti-drogues (DEA), mais leur comportement ne semblait pas conforme à ce statut, selon l'ambassadeur Bocchit Edmond.

"C'était une attaque bien orchestrée et ce sont des professionnels", a déclaré l'ambassadeur Bocchit Edmond aux journalistes.

"Nous avons une vidéo, et nous pensons qu'il s'agit de mercenaires."

La Première dame haïtienne blessée dans l'attaque, Martine Moïse, sera évacué à Miami pour être soignée.

"Je peux vous dire que les dispositions nécessaires ont été prises depuis ce matin pour la transférer dans un hôpital de Miami", a déclaré l'ambassadeur.

Une enquête est en cours pour déterminer où se trouvent les assassins, leurs motivations et leurs nationalités, selon M. Edmond, qui a affirmé qu'ils parlaient entre eux en espagnol.

Il pense qu'il est possible que les assassins aient déjà quitté Haïti, probablement pour se rendre en République dominicaine, un pays hispanophone avec lequel Haïti partage l'île d'Hispaniola.

"On ne sait pas s'ils sont partis ou s'ils sont encore là", a-t-il dit.

"S'ils ne sont pas dans le pays, il n'y a eu qu'une seule façon pour eux de partir et c'est par les frontières, car il n'y a pas d'avion."

M. Edmond affirme ainsi que l'éventuelle utilisation d'un avion privé aurait été détectée par l'aviation civile, alors qu'une sortie du territoire par les frontières terrestres a pu passer inaperçue.

L'assassinat de son président plonge Haïti dans l'inconnu

Le Premier ministre par intérim a décrété dans la foulée l'état de siège dans le pays des Caraïbes encore davantage plongé dans la crise.

"Nous avons décidé de déclarer l'état de siège dans tout le pays", a déclaré Claude Joseph dans un discours en créole, octroyant ainsi des pouvoirs renforcés à l'exécutif pour quinze jours.

Il a promis que "les auteurs, les assassins de Jovenel Moïse paieraient pour ce qu'ils ont fait devant la justice".

C'est M. Joseph qui avait annoncé plus tôt mercredi l'attaque ayant causé la mort du président.

"Le président a été assassiné chez lui par des étrangers qui parlaient l'anglais et l'espagnol. Ils ont attaqué la résidence du président de la République", a-t-il affirmé.

Le Premier ministre a appelé la population au calme et fait savoir que la police et l'armée allaient assurer le maintien de l'ordre. "La situation sécuritaire est sous contrôle", a-t-il assuré.

Les rues de la capitale Port-au-Prince étaient calmes mercredi matin, sans présence renforcée de la police ou des forces de sécurité, selon des témoins.

Réactions dans le monde

Le président américain Joe Biden a condamné cet "acte odieux", disant les Etats-Unis prêts à apporter leur aide au pays en crise.

L'Union européenne s'est inquiétée d'une "spirale de violence" par la voix de son chef de la diplomatie Josep Borrell et Paris a dénoncé un "lâche assassinat".

Le Conseil de sécurité de l'ONU, qui se réunira en urgence jeudi, s'est dit "profondément choqué" par cet assassinat.

Appel à la tenue des élections

Dans ce contexte faisant redouter un basculement vers l'anarchie généralisée, le Conseil de sécurité de l'ONU, les Etats-Unis et l'Europe appelaient à la tenue d'élections législatives et présidentielle libres et transparentes, d'ici la fin 2021.

Le département d'Etat américain a appelé mercredi Haïti à maintenir les élections législatives et présidentielle prévues dans ce pays des Caraïbes pour le 26 septembre, avec un second tour le 21 novembre, en dépit de l'assassinat dans la nuit du président Jovenel Moïse.

"Les Etats-Unis continuent de considérer que les élections de cette année devraient être maintenues", a indiqué le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price lors d'un point-presse, jugeant qu'un scrutin libre "favoriserait le transfert pacifique du pouvoir à un président nouvellement élu".

Jovenel Moïse avait annoncé lundi la nomination d'un nouveau Premier ministre, Ariel Henry, avec justement pour mission la tenue d'élections.

Gouvernant par décret depuis janvier 2020, sans Parlement et alors que la durée de son mandat faisait l'objet de contestations, Jovenel Moïse avait également mis en chantier une réforme institutionnelle.

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Un référendum constitutionnel initialement prévu en avril, reporté une première fois au 27 juin puis à nouveau en raison de l'épidémie de Covid-19, devait se tenir le 26 septembre. La réforme avait pour but de renforcer les prérogatives de l'exécutif.

Mais c'est dans les rues de Port-au-Prince que la détérioration de la situation du pays est la plus évidente.

Violence des gangs

Haïti est gangrené par l'insécurité et notamment les enlèvements contre rançon menés par des gangs jouissant d'une quasi impunité. Une situation qui valait à Jovenel Moïse, accusé d'inaction face à la crise, d'être confronté à une vive défiance d'une bonne partie de la société civile.

Depuis début juin, des affrontements entre bandes rivales dans l'ouest de Port-au-Prince paralysent toute circulation entre la moitié sud du pays et la capitale haïtienne.

Des milliers d'habitants du quartier très pauvre de Martissant, disputé par les gangs, ont été contraints de fuir leur logement et ont dû être accueillis par des proches ou dans des gymnases.

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Le 30 juin, 15 personnes avaient été tuées dans une fusillade en plein Port-au-Prince, dont un journaliste, Diego Charles, et une militante politique d'opposition, Antoinette Duclair.

Et, en avril, l'enlèvement et la séquestration de plusieurs religieux catholiques, dont deux Français, avaient choqué jusqu'au-delà des frontières du pays.

Sur le terrain politique, Jovenel Moïse aura nommé pas moins de sept Premiers ministres au cours de son mandat. Le dernier en date, Ariel Henry, n'aura pas pu entrer en fonction.

"Ma mission est simple. Le président m'a chargé de créer un environnement propice à l'organisation d'élections inclusives, avec une forte participation", avait-il déclaré mardi à l'AFP.

En réaction, la République dominicaine a ordonné mercredi la "fermeture immédiate" de sa frontière avec Haïti, les deux pays partageant la même île.

Venu du monde des affaires, Jovenel Moïse, 53 ans, avait été élu président en 2016 sur une promesse de développement de l'économie du pays et avait pris ses fonctions le 7 février 2017.

Actif dans plusieurs domaines économiques, dont l'exploitation de bananeraies, il n'avait alors quasiment aucune expérience en politique au moment de son élection et était très peu connu de ses compatriotes.