Les blessures physiques mais aussi invisibles des migrants

Les migrants expulsés d'Algérie se plaignent des conditions dans le camp de transit à Agadez, au Niger, le 9 décembre 2016. (VOA/Abdoul-Razak Idrissa)

Parmi les dizaines de milliers de migrants traversant Agadez, porte du désert au Niger, des centaines d'entre eux ont besoin de soins médicaux mais aussi d'un soutien psychologique après avoir été exposés à d'innombrables épreuves.

Ibrahim Kamara, 37 ans, originaire de Serrekunda, plus grande ville de Gambie,boite en s'appuyant sur un bâton dans un "ghetto" d'Agadez, concession où résident des migrants candidats au départ. Il y a six mois, Ibrahim était à l'arrière d'un pick-up qui roulait vers la Libye.

"Après cinq heures de route, raconte-t-il, la voiture a eu un accident. J'ai eu la jambe brisée". "On m'a ramené à Agadez et soigné à l'hôpital. Depuis, j'attends d'aller mieux pour pouvoir repartir".

Pourtant, cet accident n'a pas ébranlé ses certitudes: "Peut-être que je mourrais, mais c'est mieux d'essayer de traverser que de rester en Gambie. Là-bas, je n'ai pas de travail, (et) pas de femme, parce que je n'ai pas d'argent".

Les accidents sont fréquents et souvent dramatiques sur ce terrain difficile où les chauffeurs roulent pendant des heures sans prendre de pause sur des pistes et des dunes au volant de pick-up surchargés.

'Etats lamentables'

"On en ramène certains dans des états vraiment lamentables. Et ce sont ceux qu'on arrive à transporter à l'hôpital", résume Djibo Mazou de Médecins du Monde (MDM), qui prend en charge médicalement les migrants dans les centres de santé de la ville.

Plus de 2.000 patients ont été pris en charge par l'ONG en 2016. "Il y a les accidents de la route mais les cas les plus fréquents, ce sont le paludisme, les problèmes digestifs, et l'affaiblissement", explique M. Mazou.

Au moins 44 migrants, parmi lesquels des bébés, ont été retrouvés morts en plein désert début juin. "Ce désert est plein de corps de migrants", a ainsi regretté le ministre nigérien de l'Intérieur, Mohamed Bazoum.

"Pendant le voyage, explique le responsable de MDM, il y a aussi la faim parce que souvent (...), ils n'ont pas de quoi manger. Du coup, quand ils descendent, ils mangent tout ce qu'ils trouvent (...) Ceux qui reviennent de Libye sont fatigués, affaiblis". Il y a aussi quelques rares cas de blessures par balles.

Et les blessures psychologiques sont également importantes chez les migrants sur le départ ou bien pour ceux qui reviennent en situation d'échec. Médecins du Monde a saisi l'importance de ce domaine souvent délaissé.

"Il y a ceux qui quittent la Libye dans des situations de crise ou de conflits, les victimes de braquages et autres attaques (...) ils ont besoin d'une prise en charge", explique Cheffou Boubé, coordinateur psychologue national de MDM.

"Mais il y a aussi ceux qui partent. Ils quittent leur pays et ils viennent ici dans un pays qui n'est pas le leur. Le contexte n'est pas le même: le climat, la situation, les conditions de vie. Ils sont déconnectés de leurs repères, de leur organisation sociale, de leurs valeurs... Certains ont aussi subi des violences physiques ou psychologiques", ajoute-t-il.

Groupes de parole

"Tout cela produit vraiment le stress, des sentiments d'inquiétude, de tristesse, de désespoir", souligne-t-il.

L'ONG a recruté des travailleurs sociaux qui se rendent régulièrement dans les "ghettos" où sont regroupés clandestinement des migrants et tentent de détecter ceux ayant besoin d'aide.

Méfiants au début, les passeurs sont désormais habitués aux visites des travailleurs de santé et les migrants y sont réceptifs, explique M. Boubé.

Il faut parfois soigner de manière psychiatrique les cas les plus graves nécessitant des hospitalisations ou des consultations individualisées.

"C'est le cas par exemple de la schizophrénie, on a eu des cas ici. Il y a des gens déconnectés de la réalité, agressifs, violents. Ils sont vraiment affectés profondément, on fait des prises en charge individuelles", ajoute M. Boubé.

Plus surprenant, l'ONG a également mis en place des groupes de parole au sein même des ghettos, où psychologues ou travailleurs sociaux écoutent des migrants par groupes de 15. "Plus de 400 migrants" ont ainsi bénéficié de cette aide.

"On formule un thème en fonction du groupe de parole. Lorsqu'on vient dans un ghetto par exemple ou dans un centre d'accueil de migrants, les thèmes viennent des migrants", explique le responsable de MDM. "L'objectif, c'est de renforcer leur capacité de résilience. Il sont là pour continuer" leur route.

Avec AFP