A l'intérieur, une chaîne hi-fi crache un morceau d'un groupe de reggae burundais. Le nom de l'établissement, qui se détache en lettres capitales sur la devanture, n'a pas été choisi par hasard: "Imuhira", signifiant "A la maison" en kirundi, la langue officielle au Burundi.
L'Imuhira, un bâtiment de plain-pied coincé entre d'autres bars, a été ouvert il y a un mois dans la capitale rwandaise par des réfugiés burundais regroupés en coopérative. Car, après deux ans d'une crise sans issue en perspective dans leur pays, ces réfugiés se sentent acculés et tentent tant bien que mal de trouver des moyens de subsistance à Kigali.
"On est réfugiés mais on n'est pas condamnés à mort!", martèle Lionel Nintereste, un des co-fondateurs de l'Imuhira, attablé dans un recoin de la terrasse. "Après tout, la vie doit continuer."
Ce trentenaire est un membre du parti d'opposition Uprona et a activement participé au mouvement de protestation déclenché fin avril 2015 par l'annonce de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat controversé, finalement obtenu en juillet de la même année.
La violente répression qui s'en est suivie l'a poussé à fuir au Rwanda, ennemi juré du gouvernement burundais, en juin 2015.
En tout, quelque 400.000 Burundais ont fui les violences dans leur pays, dont 85.000 ont trouvé refuge au Rwanda. La majorité est installée dans un camp dans l'est du pays mais 28.000 vivent à Kigali, dont des journalistes, membres de la société civile, politiciens et plus généralement des Burundais relativement aisés.
- 'Dignes et forts' -
L'Imuhira emploie 20 personnes et les membres de la coopérative ont désormais pour projet d'ouvrir un magasin d'alimentation et de créer un système de mutuelle de santé pour que les réfugiés rentrent "dignes et forts" au Burundi, le moment venu, soutient Lionel.
Mais, pour nombre de réfugiés burundais à Kigali, s'offrir une bière sur la terrasse de l'Imuhira est devenu un luxe.
Si parfois des petits boulots se présentent, la plupart se plaignent d'un marché du travail saturé. De plus, selon le Haut commissariat de l'ONU aux réfugiés (HCR), nombre d'employeurs ne savent pas que le statut de réfugiés leur permet de travailler ou que les documents d'identités fournis par l'ONU sont suffisants pour les engager.
Afin de s'entraider et maintenir une cohésion, ces réfugiés se sont organisés par quartier et communiquent via le réseau social WhatsApp. Ils y partagent des annonces d'emploi, des informations sur leur pays ou s'enquièrent des nouvelles de proches disparus.
Les plus sportifs se retrouvent le samedi matin aux alentours du stade pour un footing dans les rues.
"On essaie de s'occuper et de ne pas rester inactifs, même si beaucoup sont démoralisés face à l'absence d'une sortie de crise", explique Jules, un avocat de 33 ans, évoquant les pourparlers au point mort entre Bujumbura et l'opposition en exil. Jules préfère d'ailleurs utiliser un pseudonyme de peur de possibles représailles contre sa famille restée au Burundi.
- Rire jaune -
Le président Pierre Nkurunziza "ne veut pas de négociation, il a pris une autre ligne, celle de la guerre", estime Lionel, qui ne croit plus en une issue pacifique. Et malgré les difficultés rencontrées à Kigali, aucun ne songe à rentrer au Burundi dans l'immédiat.
En deux ans, les violences ont fait 500 morts selon l'ONU et 2.000 selon les ONG. Et sur la terrasse de l'Imuhira, l'affirmation des autorités burundaises selon laquelle la "paix est revenue" au Burundi, fait rire jaune.
"Ce qui nous a poussés à fuir est encore là", assure Pascal Niyonzima, tambourinaire burundais, rencontré à l'association burundaise en exil "Maison Shalom", qui vient désormais en aide aux réfugiés.
Selon de nombreux rapports de l'ONU et d'organisations de défense des droits de l'Homme, le calme relatif qui règne au Burundi est maintenu au prix d'une féroce répression fondée sur la terreur, dont les principaux instruments sont les redoutés services de renseignement et les Imbonerakure, la ligue de jeunesse du parti au pouvoir le CNDD-FDD, qualifiée de milice par l'ONU.
Selon Lionel, "la situation au Burundi est beaucoup plus grave qu'avant". "On emprisonne, on torture et on fait disparaître dans le silence car il n'y a plus de médias ni de société civile."
Avec AFP