Les élues françaises dénoncent le harcèlement sexuel en politique

L'Assemblée nationale française, Paris, 26 septembre 2014

Le témoignage de femmes politiques accusant un député de harcèlement sexuel a ouvert une brèche dans la loi du silence.

"C'est la fin de l'omerta. Quelques hommes politiques doivent aujourd'hui s'inquiéter un peu car ce type de comportement est fréquent", a dit à l'AFP Camille Froidevaux-Metterie, professeur de Sciences politiques à Reims.

La justice a ouvert une enquête mardi sur les accusations de huit femmes, dont quatre élues, visant le député écologiste Denis Baupin. Ce dernier, marié à la ministre du Logement Emmanuelle Cosse, a porté plainte en diffamation contre le site d'informations Mediapart et la radio France Inter qui avaient recueilli les témoignages. Il a démissionné de la vice-présidence de l'Assemblée nationale "pour pouvoir se défendre".

L'une des victimes présumées, la porte-parole du parti Europe Ecologie-Les Verts, Sandrine Rousseau, a appelé d'autres femmes à témoigner.

Selon Camille Froidevaux-Metterie, auteure d'une enquête en 2012 auprès d'une soixantaine de femmes politiques qui dénonçaient le sexisme de leurs pairs, les fracassantes révélations sexuelles sur Dominique Strauss-Kahn après son arrestation à New York pour viol en 2011, avaient jusque-là agi comme un "couvercle".

"La multiplication des affaires autour de DSK, devenu une sorte de monstrueuse incarnation de l'irrespect aux femmes, et le côté «extraordinaire» des accusations qui le visaient, ont paradoxalement recouvert la banalité des agissements quotidiens des hommes politiques", estime la chercheuse.

Pour elle, "l'affaire Baupin" va désormais permettre la libération de la parole.

C'est aussi ce que suggère Catherine Achin, politologue à l'université Paris-Dauphine.

"Jusqu'ici, un certain entre soi protégeait les secrets des professionnels de la politique, y compris ces comportements agressifs et sexistes, répréhensibles par la loi", estime-t-elle, en saluant un changement des mentalités et une plus grande féminisation de la classe politique: "Plus nombreuses, haut placées, avec de l'expérience, elles peuvent désormais s'appuyer sur un collectif pour dire: ça suffit".

- faire un 'grand ménage' -

Une députée socialiste et ex-ministre, Delphine Batho, a d'ailleurs appelé mardi à un "grand ménage" en estimant que l'affaire Baupin n'était que "la partie émergée de l'iceberg". Elle a ainsi appelé le ministre des Finances, Michel Sapin, à "s'expliquer" après des accusations portant sur un geste déplacé envers une journaliste, qu'il a déjà rejetées.

Plusieurs organisations féministes, dont l'association Elu-e-s contre les violences faites aux femmes, ont réclamé mardi la démission de Denis Baupin de son mandat de député, arguant que cette affaire "n'est pas isolée" et que sa démission serait une "une étape de la lutte" contre le harcèlement sexuel.

Elles ont aussi appelé à inscrire au Code pénal l'inéligibilité des hommes politiques reconnus coupables de violences, et à l'ouverture d'enquêtes internes par les partis politiques pour tous les faits dénoncés.

"Le harcèlement sexuel pourrit la vie des femmes", a souligné la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol.

Hors du milieu politique, la loi du silence avait déjà été brisée l'an dernier lorsqu'un collectif d'une quarantaine de femmes journalistes avait publié une tribune intitulée "Bas les pattes" pour dénoncer les phrases sexistes ou propositions indécentes d'hommes politiques.

Selon des politologues, ce comportement peut s'expliquer par les "dispositions pyschologiques particulières" des hommes influents comme la confiance en soi, entretenue par la cour de conseillers dont ils s'entourent, et "l'ivresse du pouvoir" qu'ils peuvent ressentir en s'apercevant de la puissance d'attraction qu'ils peuvent exercer.

Pour tenter de dénoncer le sexisme en vigueur dans un milieu politique sous-féminisé (moins de 30% de femmes à l'Assemblée nationale), Mediapart a lancé en 2013 une initiative baptisée "Machoscope" visant à recueillir des témoignages de femmes.

Certaines voix s'inquiètent de la "mise en accusation" des victimes présumées de harcèlement sexuel, à l'instar de la députée de droite Nathalie Kosciusko-Morizet qui s'est déclarée mardi "choquée" qu'on mette en doute la parole de ces femmes au motif d'arrières-pensées politiques.

Mais pour Camille Froidevaux-Metterie, l'essentiel est de lever l'omerta: "Si la parole se libère, cela disqualifie toute une génération d'hommes politiques et donne un avertissement à la nouvelle génération".

Avec AFP