"On est avides de restaurer la dignité des enfants noirs (...), nous ne sommes pas égaux dans cette université", lance dans un tonnerre d'applaudissements Mcebo Dlamini, l'un des meneurs de la révolte à l'université du Witwatersrand (Wits), à Johannesburg.
Face à lui, une foule d'un millier d'étudiants où les Blancs se comptent sur les doigts d'une main.
Depuis trois semaines, la prestigieuse fac de Wits, comme celles d'autres grandes villes du pays, vit sous haute tension. Les échauffourées, souvent violentes, entre élèves et forces de sécurité ont contraint les autorités à suspendre les cours.
A l'origine de ce malaise, il y a la décision du gouvernement d'autoriser pour 2017 une hausse des frais de scolarité jusqu'à 8%. L'an dernier, ce sujet avait déjà mis le feu aux poudres dans les facultés, avant que les autorités ne fassent marche arrière.
A Wits comme ailleurs, "l'éducation gratuite" s'est imposée comme la principale revendication.
"C'est un moyen de parvenir à l'égalité, de réparer ce que les gens ont dû endurer dans le passé", explique un étudiant gréviste, Tauriq, en référence aux décennies de domination blanche sur le pays.
Si vous êtes Blancs, "vous ne pouvez pas vous identifier aux problèmes" des étudiants de couleur, poursuit ce métis en troisième année d'ingénierie. "Les Blancs ne comprennent pas ce que c'est de se lever à 5h pour arriver à l'heure en cours. Ils ne savent pas ce qu'un Noir peut ressentir dans un centre commercial: dans les yeux des gens, il lit leur peur d'être volés."
Le mouvement étudiant vise à "remettre en cause ce que les gens trouvent normal", résume Tauriq.
En 2014, 27,5% des Blancs ont décroché un diplôme universitaire, contre seulement 5,3% des Noirs, selon l'Institut sud-africain des relations raciales (IRR).
Malgré l'émergence d'une classe moyenne noire depuis deux décennies, les inégalités économiques restent aussi criantes: 41,9% des Noirs vivent dans la pauvreté, contre 0,8% des Blancs.
La mère de Tauriq gagne 400 euros par mois et élève seule ses quatre enfants. Sans sa bourse d'Etat qui couvre ses 4.000 euros de frais universitaires annuels, Tauriq n'aurait jamais pu étudier à Wits. Mais tous n'ont pas sa chance.
- 'Suprématie blanche' -
L'appel à la décolonisation est "sans surprise dans une société où tout a été fait pour légitimer la suprématie blanche" pendant des décennies, explique Mcebisi Ndletyana, professeur en sciences politiques à l'université de Johannesburg.
Des progrès ont cependant été enregistrés depuis l'avènement de la démocratie en 1994. Aujourd'hui, "plus de la moitié des étudiants de Wits sont Noirs, mais il y a encore un long chemin à parcourir", constate Noor Nieftagodien, professeur d'histoire.
La "décolonisation" passe par la gratuité de l'enseignement supérieur, mais pas seulement pour les grévistes.
"Wits ne reflète pas la diversité démographique du pays. Il n'y a pas de bâtiment baptisé Winnie Mandela", dénonce le leader étudiant Vuyani Pambo, en référence à l'ex-épouse du premier président noir sud-africain Nelson Mandela.
Sur le campus aux jacarandas en fleurs, les bibliothèques portent les noms de Jan Smuts et William Cullen: un homme politique afrikaner et un médecin britannique.
"L'approche de l'enseignement est très européenne", regrette aussi Dumisa, un étudiant qui plaide pour l'introduction de la médecine traditionnelle dans le curriculum de médecine.
Devant la paralysie de Wits, des dizaines de jeunes, principalement Blancs, ont lancé le mouvement "Take Wits Back" (Reprendre Wits). "Tout ce que nous réclamons, c'est la reprise de l'année universitaire 2016", explique Stuart Young.
Cette initiative "est ridicule", assène Chris, l'un des très rares étudiants Blancs présents à l'assemblée générale vendredi. "Quand des étudiants se voient refuser l'accès à la fac (pour des raisons financières), eux s'indignent de ne pas avoir cours".
Devant cette profonde crise, le gouvernement, issu du Congrès national africain (ANC) de feu Mandela, a mis en place en janvier 2016 une commission sur l'enseignement supérieur. Son rapport est attendu courant 2017, bien trop tard pour les grévistes.
Mpho Tutu van Furth, la fille du très respecté prix Nobel de la paix et ex-archevêque Desmond Tutu, a prévenu vendredi le pouvoir: "Il n'y aura pas de paix dans les universités sans démocratie".
Avec AFP