A bonne distance des forces anti-émeutes, des grappes de protestataires, principalement des jeunes, sont assis en cercle sur la chaussée.
Pour la treizième nuit consécutive après la rupture du jeûne du ramadan, Al-Hoceïma la rebelle, dans le nord du Maroc, était en effervescence jeudi soir. Quelques centaines d'habitants du quartier populaire de Sidi Abed ont bravé les cordons de policiers qui quadrillent les coins de rue, casques sur la tête et protégés derrière leur bouclier.
"Liberté pour les prisonniers!", crie la foule, qui se dresse debout, les bras croisés vers le ciel, faisant mine d'avoir les mains menottées.
Les manifestants sont rassemblés sur une place qui jouxte les montagnes auxquelles la ville est accrochée.
"Nasser Zefzafi est notre leader!", clame une quinquagénaire, en référence au chef du mouvement populaire, interpellé le 29 mai et accusé aujourd'hui "d'atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat".
"Nous réclamons sa libération et celle de tous les détenus, nous ne reculerons devant rien pour cela", martèle cette femme habillée d'une ample djellaba noire, un drapeau berbère sur les épaules. Elle dit avoir participé aux manifestations à Al-Hoceïma depuis leur début, il y a près de sept mois.
Quelques rares voitures s'aventurent près des manifestants, klaxonnant au rythme des slogans, sous les applaudissements et les youyous de femmes amusées. Des enfants accompagnent leurs parents dans la rue et des adolescents filment par les fenêtres le rassemblement.
Beaucoup d'immeubles voisins, aux volets complètement baissés, sont apparemment inoccupés, car appartenant à des Marocains de la diaspora, de l'autre côté de la Méditerranée.
- 'Silmya' -
"Beaucoup de gens originaires d'ici vivent en Europe et possèdent des maisons à Al-Hoceïma", explique un habitant de ce quartier populaire où l'on attend, comme chaque été, l'arrivée pour les vacances de ces milliers d'émigrés, dont les transferts d'argent font vivre une bonne partie de la ville.
En contrebas du rassemblement, au bout de la rue, les policiers --très nombreux-- n'interviennent pas. "C'est parce qu'il y a beaucoup de journalistes ce soir, autrement, ils n'auraient pas hésité à nous tabasser", affirme un manifestant.
Ils bloquent cependant l'accès au quartier, et les habitants, du moins les jeunes, sont obligés de contourner les cordons de police par de petites ruelles pour rentrer chez eux.
A Al-Hoceïma, la plupart des habitants disent soutenir le mouvement de contestation, qui revendique le développement du Rif. Tous insistent sur le caractère "pacifique" de leur lutte: "silmya" (le mot en arabe) répètent-ils en boucle.
Ils rejettent les tentatives de médiations des associations et responsables locaux. "On veut que le roi intervienne", soulignent beaucoup d'entre eux.
"Les manifestations sont pacifiques et doivent le rester", répète un commerçant, le crâne rasé. "Les gens d'ici sont éduqués et civilisés, ils ne demandent que leurs droits".
Jeudi en fin d'après-midi, pour la première fois depuis une dizaine de jours, des heurts ont toutefois éclaté entre jeunes et policiers, signe de la tension qui prévaut par moments dans la ville.
Des protestataires ont été repoussés sans ménagement par des policiers, et plusieurs d'entre eux ont alors lancé des pierres sur les forces de l'ordre.
"Ceux qui ont caillassé ne sont pas d'ici", jure un militant du "hirak" (la mouvance), le mouvement qui anime la contestation, et dont les principaux meneurs ont été récemment arrêtés. Les manifestants sont nombreux à aborder les journalistes pour dire qu'ils condamnent les actes de violence, qu'ils les attribuent à des "voyous", des "infiltrés" et des "gens qui ne viennent pas d'ici".
Peu avant minuit, le rassemblement commence à se disperser, et certains n'hésitent pas à narguer les policiers: "bye-bye et à demain", lancent-ils sous leur nez.
Avec AFP