Des coups de feu victorieux ont éclaté à Kaboul à l'annonce du retrait final de l'armée américaine, salué comme un succès "historique" par les talibans, revenus au pouvoir le 15 août.
Les Américains étaient entrés en Afghanistan en 2001, à la tête d'une coalition internationale, pour chasser du pouvoir les talibans en raison de leur refus de livrer le chef d'Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
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"Félicitations à l'Afghanistan (...) Cette victoire est la nôtre à tous", a déclaré mardi matin le principal porte-parole taliban, Zabihullah Mujahid, à l'aéroport de Kaboul, dont les islamistes avaient pris le contrôle total quelques heures plus tôt.
"C'est une grande leçon pour d'autres envahisseurs et pour notre future génération", et "c'est aussi une leçon pour le monde", a-t-il estimé. "C'est un jour historique, c'est un moment historique et nous en sommes fiers".
A Kandahar (sud) aussi, au cœur du pays pachtoune, ethnie dont sont issus nombre de talibans, des cris de joie ont résonné. "Nous avons défait la superpuissance. L'Afghanistan est le cimetière des superpuissances", ont scandé des hommes armés, en tenue traditionnelle.
Après deux semaines d'opérations d'évacuation précipitées, voire chaotiques, le dernier avion de transport militaire C-17 a décollé de l'aéroport de Kaboul lundi à 19H29 GMT, soit 23H59 locales, a déclaré le général américain Kenneth McKenzie, chef du centre de commandement dont dépend l'Afghanistan.
Le retrait militaire des Etats-Unis s'est achevé 24 heures avant la date butoir fixée par le président Joe Biden, pour lequel cette journée gardera un goût amer. Il doit s'adresser mardi à ses concitoyens, nombreux à se demander à quoi auront servi ces deux décennies d'engagement en Afghanistan.
L'objectif de supprimer Oussama Ben Laden avait été atteint le 2 mai 2011, lorsque les forces spéciales américaines l'avaient tué au Pakistan. Mais les Etats-Unis sont restés en Afghanistan, notamment pour former une armée afghane qui s'est finalement effondrée face aux talibans.
- 123.000 évacués -
Les Etats-Unis déplorent quelque 2.500 morts et une facture de 2.313 milliards de dollars en 20 ans, selon une étude de la Brown University. Leur image est encore plus écornée par leur incapacité à prévoir la rapidité de la victoire talibane et par leur gestion des évacuations.
Depuis le 14 août, sur une période de 18 jours, les avions américains et de leurs alliés ont évacué plus de 123.000 civils de l'aéroport de Kaboul, selon le Pentagone.
Le retour des islamistes au pouvoir avait obligé les Occidentaux à évacuer leur ressortissants, mais aussi les Afghans susceptibles de subir des représailles, notamment pour avoir travaillé pour les forces étrangères.
Ces opérations risquées ont été endeuillées le 26 août par un attentat-suicide qui a fait plus d'une centaine de morts, dont 13 soldats américains. L'attaque a été revendiquée par le groupe jihadiste Etat islamique au Khorasan (EI-K), qui devrait rester une menace à l'avenir.
Le Pentagone a reconnu lundi n'avoir pas pu faire sortir d'Afghanistan autant de personnes que voulu. Le retrait s'est fait dans l'urgence car Washington n'avait pas anticipé l'effondrement de l'armée et du gouvernement afghans, face à des talibans qui ont conquis toutes les grandes villes en une dizaine de jours.
Washington aidera tous les Américains - il en reste entre 100 et 200 dans le pays - qui veulent quitter l'Afghanistan, a assuré le secrétaire d’Etat Antony Blinken. Les activités diplomatiques et consulaires américaines ont été transférées de Kaboul vers Doha, au Qatar.
- Crainte d'un retour en arrière -
Comme le reste du monde, Washington regardera attentivement dans les prochains jours ce que les talibans feront à l'aéroport de Kaboul, et notamment s'ils laisseront les Afghans circuler librement vers l'étranger comme ils l'ont promis.
Cet aéroport est d'une "importance existentielle" pour l'Afghanistan, pour faire transiter le soutien médical et humanitaire dont le pays a absolument besoin, a estimé mardi la chancelière allemande, Angela Merkel.
Le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a jugé lui aussi "essentiel" de garder ouvert l'aéroport de Kaboul et a promis de ne pas oublier ceux qui cherchent à fuir le régime taliban en Afghanistan.
Depuis leur retour au pouvoir, les talibans se sont efforcés d'afficher une image d'ouverture et de modération, qui laisse néanmoins sceptiques de nombreux observateurs.
Lors de leur précédent passage au pouvoir entre 1996 et 2001, ils avaient imposé une version ultrarigoriste de la loi islamique.
"Nous voulons avoir de bonnes relations avec les Etats-Unis et le monde", a répété mardi Zabihullah Mujahid. Les Etats-Unis sont prêts à "travailler" avec les talibans, mais "la légitimité et le soutien doivent se mériter", avait prévenu lundi Antony Blinken.
A Doha, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a estimé mardi qu'il n'y avait "pas d'alternative" à des discussions avec les talibans, après une rencontre avec son homologue qatari.
Celui-ci, Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani, a demandé aux talibans de s'engager dans la lutte contre le "terrorisme" et de former un gouvernement "inclusif" après le retrait des Américains d'Afghanistan.
Beaucoup d'Afghans et d'Occidentaux craignent un retour en arrière sur les droits humains acquis ces 20 dernières années, notamment pour les femmes, qui ont accédé à l'éducation, sont entrées en politique ou dans les médias.
Les islamistes ont promis de ne pas se venger de ceux ayant travaillé pour le gouvernement précédent et ont assuré qu'ils œuvreraient à la formation d'un gouvernement ouvert à d'autres factions.
"L’Emirat islamique a mené le jihad ces 20 dernières années. Maintenant, il a tous les droits de diriger le prochain gouvernement. Mais il reste engagé à former un gouvernement inclusif", a répété M. Mujahid. Pékin a annoncé en attendre la composition pour se prononcer sur une éventuelle reconnaissance.
Le défi le plus urgent des nouveaux maîtres de l'Afghanistan sera de trouver les fonds pour verser les salaires des fonctionnaires et maintenir en état de marche les infrastructures vitales (eau, électricité, communications).
Les talibans ont reproché aux Occidentaux d'avoir emmené avec eux certains des Afghans les plus éduqués et qualifiés. Ils doivent maintenant s'atteler sans eux à une tâche gigantesque: remettre sur pied un pays et une économie dévastés par la guerre.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a d'ores et déjà mis en garde mardi contre "une catastrophe humanitaire" en Afghanistan, et réclamé des fonds pour ce pays.
"Une catastrophe humanitaire se profile", a-t-il souligné, en évoquant "l'aggravation de la crise humanitaire et économique" et "la menace d'un effondrement total des services de base".