En mars 2011, les responsables occidentaux, le président français Nicolas Sarkozy en tête, n'ont pas le moindre doute. La révolution libyenne, qui a éclaté en février dans le sillage du printemps tunisien est menacée par un "Kadhafi devenu fou".
Le clan du président libyen, au pouvoir depuis 42 ans, promet des "rivières de sang", notamment à Benghazi, ville rebelle de l'est libyen.
Les Occidentaux réussissent à passer une résolution au Conseil de securité de l'ONU instaurant une zone de protection aérienne et autorisant "toutes les mesures nécessaire pour protéger les civils", avec l'abstention de la Russie.
La résolution ouvre la voie aux frappes aériennes occidentales et arabes.
"Sans l'intervention il y aurait eu un massacre à Benghazi, il n'y a pas le moindre doute", martèle une source européenne présente dans la ville libyenne en 2011. "Il y avait une vraie révolution. Les gens ne voulaient pas vivre une minute de plus sous ce régime kafkaïen de Kadhafi", relate cette source.
Mais si l'intervention occidentale a empêché un massacre, elle a aussi conduit à la chute du régime et à la mort de Kadhafi, lynché le 20 octobre dans un égoût après que son convoi eut eté bombardé par des frappes de l'OTAN.
- failles de l'intervention -
"Vous n'avez pas assuré le service après-vente". L'accusation du président tchadien Idriss Deby résonne toujours, cinq ans après la chute du colonel libyen. Malgré des élections en 2012, remportées par les libéraux, la Libye a sombré dans le chaos et vit sous le règne des milices.
Les arsenaux de Kadhafi ont été pillés, les combattants se sont éparpillés au Niger, au Mali et en Tunisie, les jihadistes de l'Etat islamique se sont incrustés dans le pays.
La faute aux Occidentaux qui n'ont pas préparé "le jour d'après” ?
"Nous avons sous-estimé, comme nos partenaires européens, la nécessité d'être présents le lendemain de la chute de Kadhafi", reconnaît le président américain Barack Obama dans le documentaire "les années Obama" de Norma Percy.
"La communauté internationale aurait dû avoir un plan pour le jour d'après", accuse aujourd'hui Mahmoud Jibril, ancien responsable du Comité national de transition (CNT) libyen, l'organe rebelle reconnu en 2011 par les Occidentaux.
"Nous les avons prévenus, nous avions besoin d'eux pour reconstruire nos institutions après la mort de Kadhafi, mais tout le monde nous a répondu : notre mission est accomplie', déclare-t-il à l'AFP.
- le parallèle syrien -
"Rétrospectivement, on se dit qu'on aurait pu faire les choses autrement. C'est vrai qu'on aurait dû se préoccuper des suites, on n'aurait pas dû s'en laver les mains collectivement. Il y a eu une sorte de détachement coupable", reconnaît une autre source européenne.
"Cela dit, les Libyens nous ont clairement fait comprendre qu'ils ne voulaient pas de forces étrangères, y compris de casques bleus de l'Onu", nuance cette source.
"Les Libyens ont toujours repoussé les offres d'aide des Occidentaux, ils disaient qu'ils avaient les moyens de gérer la situation", analyse Mattia Toaldo, spécialiste de la région. La responsabilité des acteurs locaux et des puissances régionales -Qatar et Turquie, Emirats et Egypte- soutenant des camps rivaux en Libye ne doit pas être éclipsée, estime-t-il.
Et à l'interrogation l'intervention était-elle nécessaire, nombre répondent en traçant un parallèle avec la Syrie.
"Dans ce pays, la guerre fait des centaines de milliers de morts. En Libye, il n'y en a +que+ des dizaines de milliers. Et il y a un processus politique en cours, aussi difficile soit-il", estime M. Toaldo.
"Quand on voit ce qui se passe à Alep aujourd'hui... En Libye, au moins, on a exercé la responsabilité de protéger" selon la source européenne.
Les répercussions de l'intervention se font aussi sentir dans les relations avec la Russie, furieuse d'avoir accepté une opération qui a abouti à un changement de régime.
"Rappelons-nous ce qu'étaient la Libye ou l'Irak avant que nos partenaires occidentaux n'aient détruit ces Etats. Ces territoires sont devenus une source de menace terroriste", a déclaré, cinglant, le président russe Vadlimir Poutine lors d'une interview la semaine dernière sur une chaîne française. "Nous ne voulons pas qu'il arrive la même chose en Syrie".
Avec AFP