D’Asmara à Tripoli en passant par Khartoum ou Agadez, les passeurs sont partout sur le continent. Même de l’autre côté de la Méditerranée, ils ne sont jamais bien loin des migrants, qui croient avoir fait le plus dur en posant un pied sur le continent européen.
Impossible d’atteindre la Libye et espérer prendre un bateau sans passer par ces filières. Localement, moyennant quelques centaines de dollars, elles se limitent à faciliter la sortie du pays, pour gagner discrètement la frontière. Un jeune Erythréen raconte à VOA Afrique avoir été arrêté par les douaniers de son pays lors de sa première tentative. Il a été envoyé deux mois dans les prisons souterraines du régime avant de s’échapper.
Abdallah Arku est parti de Khartoum en payant 1.000 dollars pour se rendre en Libye. Ce Soudanais a traversé la frontière avec un groupe de 172 migrants, en majorité des Erythréens, à bord de sept camions conduits par des passeurs libyens. Ils étaient entassés par trente dans chaque véhicule, attachés à l'aide de cordes, comme des animaux. Sept migrants sont morts de soif dans le désert.
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Durant ces semaines aux mains des geôliers en Libye, il a décrit avoir vu des passeurs soudanais, tchadiens ou nigérians. Des ressortissants d’Erythréens confirment, eux, avoir vu des compatriotes parmi les trafiquants à Tripoli ou dans le Sahara.
D’autres migrants rencontrés à Milan affirment avoir été détenus en Libye par des hommes en armes se réclamant du groupe Etat islamique.
L’appât financier est évident. Ce trafic génère des milliards de dollars de profits chaque année et l’intérêt des organisations criminelles est croissant. Chaque candidat au voyage paie plusieurs milliers de dollars pour se rendre en Europe. Ce trafic "représente beaucoup de profits pour peu de risques" confirme à VOA Afrique, Nicole, policière allemande pour Europol en Sicile.
Tous ceux qui ont pu arriver de l'autre côté de la Méditerranée livrent des témoignages accablants. Outre la privation de liberté, les passeurs leur font aussi subir les pires supplices. De nombreux migrants sont notamment brulés sur les mains, le visage, le torse par les trafiquants dans le Sahara. Des tortures décrites partout, de la Libye jusqu'au Tchad en passant par le Soudan et l'Egypte.
Un homme a ainsi eu son visage brûlé lorsque les passeurs ont mis le feu à un conteneur dans lequel s’entassait plusieurs dizaines d’entre eux.
VOA Afrique a obtenu des images auprès d'un médecin italien de Milan qui soigne les migrants dans un centre d'accueil. Elle a souhaité partager ces clichés afin que le monde sache ce que ces personnes endurent tout au long de leur voyage. Les femmes sont aussi souvent victimes d'abus sexuels.
Même en Italie, les passeurs poursuivent leurs opérations. Des Erythréens expliquent à VOA Afrique que des individus les ont convaincu qu’il ne fallait pas s’enregistrer auprès des autorités italiennes pour poursuivre leur voyage. Au contraire que, moyennant paiement, ils se chargeraient de leur faire gagner la Suède ou l’Allemagne au plus vite. De fausses informations destinées à leur soustraire encore un peu plus d'argent.
Les polices européennes sont donc vigilantes à la descente des bateaux pour repérer les possibles victimes de trafic.
Giovanni Abbate de l’Organisation internationale pour les migrations en Sicile explique, par exemple, le fonctionnement des trafiquants nigérians. “Les filles pensent venir travailler ici normalement et envoyer de l’argent à leurs familles restées au pays. En fait, elles sont victimes de trafic d’êtres humains. Elles sont conditionnées depuis le Nigeria à ne pas fuir et à obéir en Europe à leur proxénète. Il s’agit souvent d’une “madame” qui exploite ces futures prostituées sur les trottoirs de France, Italie, Allemagne ou Espagne“, décrit-il à VOA Afrique.
A des milliers de kilomètres de la Sicile, dans le Nord de la France, les passeurs s’activent aussi. A Calais, dans la “jungle” où plus de 4.000 migrants s’entassent en attendant de se rendre en Angleterre, ils sont présents. Ils monnaient leurs « services » aux Afghans ou Soudanais qui espèrent passer outre-Manche. Plus discrète, la mafia albanaise rode aussi autour du camp.
Le citoyen ordinaire peut aussi rapidement se retrouver complice des passeurs. Un élu local confie à VOA Afrique que le transport d’un migrant de Lille à Calais peut rapporter jusqu'à 100 euros au chauffeur. Difficile de résister pour certains dont les fins de mois sont difficiles.
Lisez le prochain récit de Nicolas Pinault depuis la Sicile.