Difficile à évaluer précisément faute de chiffres officiels disponibles, la mobilisation, qui reste très forte, semble néanmoins en baisse, en ce vendredi pluvieux dans la matinée et dont le ciel gris reste menaçant, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Le carrefour devant la Grande Poste d'Alger, devenue le point de ralliement des manifestations dans la capitale, est noir de monde comme chaque vendredi et le cortège remonte sur plusieurs kilomètres le long d'un des principaux axes de la ville, qui y débouche. D'autres manifestants convergent vers la Grande Poste depuis d'autres quartiers.
Homme fort de facto du pays depuis qu'il a lâché le président Abelaziz Bouteflika, dont il était un indéfectible soutien depuis 15 ans, rendant inéluctable sa démission, le chef d'état-major de l'armée, le général Ahmed Gaïd Salah, est particulièrement visé vendredi par les slogans.
"Gaïd Salah, dégage!", scandent notamment les manifestants. "Non au pouvoir militaire", peut-on lire sur certaines pancartes.
Perçu par la contestation comme un allié quand il a obtenu la démission du chef de l'Etat, son appui désormais réitéré semaine après semaine au processus de transition mis en place conformément à la Constitution, dont l'organisation d'une présidentielle le 4 juillet pour élire le successeur de M. Bouteflika, lui vaut désormais l'inimité de nombreux manifestants.
- "Gagner du temps" -
Egalement dans le collimateur: le président par intérim Abdelkader Bensalah et le Premier ministre Noureddine Bedoui, deux anciens cadres zélés du régime Bouteflika, extrêmement discrets depuis des semaines face à la contestation qui exige leur départ.
Seule voix audible face aux manifestants, le général Gaïd Salah a appelé cette semaine la contestation au "dialogue avec les institutions de l'Etat", martelant le refus de l'armée de "s'écarter de la voie constitutionnelle": une nouvelle fin de non recevoir aux revendications de la mise sur pied de structures ad hoc pour gérer l'après-Bouteflika.
"Le dialogue ne peut pas se faire avec les symboles du système en place, qui détiennent le pouvoir", a réagi Abdelouahab Fersaoui, président du Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), ONG citoyenne, dans un entretien au site d'information TSA (Tout sur l'Algérie).
"On ne peut pas entamer un dialogue avec un Bensalah ni avec un Bedoui ni avec les personnes qui ont été responsables de la situation actuelle", a-t-il estimé. Le pouvoir continue "à manoeuvrer et à gagner du temps" et "n'a donné aucun signe de bonne volonté pour répondre aux revendications claires et légitimes" du mouvement.
Un mois presque jour pour jour après la démission, le 2 avril, d'Abdelaziz Bouteflika, le mouvement de contestation inédit déclenché le 22 février ne faiblit pas, mais aucune autre revendication n'a été satisfaite depuis.
- "On ne va rien lâcher" -
Les manifestants refusent toujours que l'appareil hérité du président déchu, suspecté d'avoir truqué les scrutins depuis deux décennies, gère la transition et organise la présidentielle devant élire son successeur.
"On marchera jusqu'à ce que toute la bande des hommes à +Boutef+ parte", affirme à l'AFP Hamid Benmouhoub, commerçant de 55 ans, venu de Jijel, à 350 km d'Alger.
"Nous refusons ce système. Il faut qu'il parte. Ce gouvernement ne peut pas assurer la transition", martèle Amine, 22 ans, étudiant à Tizi Ouzou, à 100 km de route. Il a passé la nuit chez des amis pour éviter les barrages filtrants mis en place chaque vendredi aux entrées d'Alger.
Aucune partie ne semble prête à céder et certains observateurs pensent que le pouvoir mise sur un essoufflement de la mobilisation durant le mois de ramadan qui commence dans les prochains jours.
Un mois de jeûne et de privation, durant lequel les Algériens se couchent souvent tard et au fur et à mesure duquel la fatigue se fait de plus en plus sentir.
"On continuera à marcher durant le ramadan pour exiger une période de transition avec des personnes propres, on ne va rien lâcher", assure, comme de nombreux autres manifestants, Zakia Benabdrahmane, 56 ans, arrivée à Alger avec son époux de Boumerdes, à environ 40 km à l'est de la capitale.
Pour pallier à la fatigue, la faim et la soif de la journée, la plupart des manifestants proposent de déplacer pendant le ramadan les marches le soir, après le "ftor", la rupture du jeûne.