Nucléaire : l'Iran franchit un seuil imposé par l'accord de 2015

Ali Khamenei parle lors d'un direct télévisé à Téhéran, en Iran, le 12 juin 2009.

L'Iran a franchi lundi la limite imposée à ses réserves d'uranium faiblement enrichi par l'accord de 2015 sur son programme nucléaire, prenant le risque d'être déclaré pour la première fois en faute sur ses engagements en la matière.

"L'Iran a dépassé la limite des 300 kilogrammes" d'uranium faiblement enrichi, a annoncé le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif à l'agence semi-officielle Isna.

Cette annonce iranienne, jugée "profondément inquiétante" par la Grande-Bretagne, survient sur fond de tensions exacerbées avec les Etats-Unis de Donald Trump, faisant craindre un embrasement guerrier dans la région stratégique du Golfe.

La crise entre les deux ennemis a connu un pic le 20 juin après que l'Iran eut abattu un drone américain. Selon Téhéran, l'appareil avait violé l'espace aérien iranien, ce qu'a démenti Washington.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a aussitôt appelé les pays européens à sanctionner l'Iran.

Chargée de vérifier que l'Iran s'acquitte de ses engagements pris vis-à-vis de la communauté internationale en juillet 2015 à Vienne, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a confirmé que l'Iran avait dépassé la limite imposée par le pacte.

"L'Agence a vérifié au 1er juillet que le stock total d'uranium enrichi a dépassé les 300 kilos", a indiqué un porte-parole de l'agence onusienne.

Ni l'AIEA, ni M. Zarif n'ont précisé le niveau actuel des réserves d'uranium enrichi iraniennes, mais un diplomate en poste à Vienne a indiqué à l'AFP que celles-ci avaient été mesurées en excès de deux kilogrammes.

"Ne pas dramatiser"

La question est désormais de savoir quelles seront les conséquences de ce dépassement de l'accord.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait réclamé le 17 juin l'application immédiate du mécanisme de sanctions ("snapback sanctions") inscrit dans l'accord de 2015 au moindre écart de la République islamique.

Mais cette question est d'abord du ressort des autres Etats encore parties à l'accord de Vienne : Allemagne, Chine, France, Grande-Bretagne et Russie.

Les Européens, et notamment la France, ont exhorté l'Iran ces dernières semaines à ne pas commettre l'"erreur" de se retrouver en situation de "violation" de l'accord.

Téhéran affirme agir "dans le cadre" de ce pacte, invoquant deux articles permettant à une partie de s'affranchir temporairement de certains de ses engagements si elle estime qu'une autre ne tient pas les siens.

Le dépassement de la limite "suscite le regret, mais il ne faut pas dramatiser", a réagi Moscou par la voix du vice-ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Riabkov, qui a appelé les Européens à "ne pas envenimer la situation" et Téhéran "à se conduire de manière responsable".

La réaction de Londres a été plus vigoureuse, jugeant l'annonce "profondément inquiétante” : "J'exhorte l'Iran à ne plus s'éloigner de (l'accord) et à se conformer de nouveau à ses obligations", a ajouté sur Twitter Jeremy Hunt.

Pour autant, Mohammad Javad Zarif a redit la détermination de son pays à continuer de se désengager progressivement de l'accord tant qu'il n'obtient pas les garanties qu'il demande aux autres parties pour contrer les effets de la décision américain de sortir unilatéralement de ce pacte.

Le président américain Donald Trump a en effet décidé en mai 2018 de dénoncer l'accord et de réimposer des sanctions contre l'Iran.

En riposte, Téhéran a annoncé le 8 mai qu'il ne se sentait plus tenu par deux seuils fixés par l'accord: celui limitant son stock d'uranium faiblement enrichi (300 kilos), et celui imposé à ses réserves d'eau lourde (130 tonnes).

Téhéran menace par ailleurs de reprendre, à partir du 7 juillet, des activités d'enrichissement d'uranium à un taux supérieur au degré maximal fixé par l'accord (3,67%) et de relancer son projet de construction d'un réacteur à eau lourde à Arak (centre).

- "Progrès insuffisants" -

Conclu en juillet 2015 à Vienne, l'accord international sur le nucléaire iranien est menacé depuis le retrait américain.

Par l'accord de Vienne, l'Iran s'est engagé à ne pas chercher à acquérir la bombe atomique et a accepté de réduire drastiquement son programme nucléaire en échange de la levée de sanctions internationales asphyxiant son économie.

Mais le retour des sanctions américaines a pour effet d'isoler presque totalement l'Iran du système financier international et de lui faire perdre la quasi-totalité de ses acheteurs de pétrole.

A l'issue d'une réunion de crise des Etats parties à l'accord, vendredi à Vienne, l'Iran avait jugé que des "progrès" avaient été réalisés pour aider l'Iran, mais ajouté qu'ils étaient encore "insuffisants".

A la fin de la rencontre, l'Union européenne a annoncé pour sa part qu'Instex, le mécanisme de troc conçu par Berlin, Londres et Paris pour aider l'Iran à contourner les sanctions était enfin "opérationnel" et que les premières transactions étaient "en train d'être traitées".

M. Zarif a néanmoins estimé lundi qu'Instex ne répondait "pas aux exigences" de Téhéran "ni aux obligations" incombant aux Européens.

"Pour qu'Instex soit utile à l'Iran, il faut que les Européens achètent du pétrole iranien", avait déjà prévenu vendredi son adjoint, Abbas Araghchi.