Des élus locaux ont rapporté des scènes de massacres systématiques perpétrés il y a quelques jours par des hommes en armes à Diallassagou et dans deux localités environnantes du cercle de Bankass dans le centre du pays, l'un des principaux foyers de la violence qui ensanglante le Sahel depuis des années.
"On a perdu des proches, des grands frères, des tontons, du matériel (a été) détruit, des animaux emportés, des habits, tout", a dit un élu local s'exprimant à Bamako sous le couvert de l'anonymat pour des raisons de sécurité. "Il ne reste rien de Diallassagou. Diallassagou, la commune la plus riche du cercle de Bankass...", a-t-il gémi.
Le gouvernement a fait état de 132 morts qu'il a imputés à la Katiba Macina du prédicateur peul Amadou Kouffa, affiliée à Al-Qaïda. Sorti lundi après-midi du silence alors que les informations alarmantes proliféraient depuis le week-end sur les réseaux sociaux, le gouvernement date les événements de la nuit de samedi à dimanche. D'autres les font remonter à vendredi.
Lire aussi : Le nord du Mali s'enfonce dans la violenceLe chef de la junte au pouvoir depuis août 2020, le colonel Assimi Goïta, a décrété trois jours de deuil national. Dans une déclaration adoptée lundi à New York à l'unanimité de ses 15 membres, le Conseil de sécurité de l'ONU "a condamné dans les termes les plus forts" les tueries près de Gao et Bankass.
Différents interlocuteurs de l'AFP ont indiqué qu'on continuait à compter les morts. Nouhoum Togo, président d'un parti ayant son assise à Bankass, principale localité du secteur, parle d'un nombre de victimes encore plus élevé.
Nouhoum Togo a indiqué à l'AFP que la zone avait été le théâtre il y a deux semaines d'opérations de l'armée qui avaient donné lieu à des accrochages avec les jihadistes. Ces derniers seraient revenus à plusieurs dizaines à motos, vendredi selon lui, pour se venger contre les populations, a-t-il dit.
"Ils sont arrivés et ont dit aux gens: 'Vous n'êtes pas des musulmans' en langue peul. Alors ils ont emmené les hommes, une centaine de personnes sont parties avec eux. A deux kilomètres de là, ils ont abattu les gens systématiquement", a-t-il affirmé. "Aujourd'hui encore, on a continué à ramasser les corps dans les communes environnantes de Diallassagou", a-t-il ajouté.
Depuis l'apparition en 2015 de la Katiba Macina dans le centre du Mali, la région est livrée aux exactions jihadistes, aux agissements des milices proclamées d'autodéfense et aux représailles intercommunautaires. Une grande partie de la zone échappe au contrôle de l'Etat central.
"On a tout dit..."
Le 23 mars 2019, plus de 160 civils peuls avaient été massacrés dans le village d'Ogossagou. Mais c'est tout le Mali qui est plongé dans une profonde crise sécuritaire, politique et humanitaire depuis le déclenchement d'insurrections indépendantiste et jihadiste en 2012 dans le nord. La propagation jihadiste a gagné le centre et les pays voisins, Burkina Faso et Niger.
Les militaires qui ont pris le pouvoir par la force en août 2020 après des mois de contestation populaire dirigée notamment contre l'incapacité du gouvernement civil à stopper la spirale mortifère ont fait de la restauration de la sécurité leur priorité. Ils se sont détournés des anciens alliés militaires du Mali, à commencer par les Français, et tournés vers les Russes. Ils ont lancé en décembre une grande opération dans le centre.
Lire aussi : Face au jihadisme, Bamako en quête d'une catharsis nationaleLe secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres écrivait dans un récent rapport remis au Conseil de sécurité qu'avec l'intensification des opérations des soldats maliens soutenus par des éléments étrangers, "les civils ont été exposés à de violentes attaques et à des violations croissantes des droits de l'homme, qui ont fait le plus grand nombre de victimes civiles enregistré à ce jour au Mali".
Les civils sont soumis aux représailles de jihadistes qui les accusent de pactiser avec l'ennemi. Dans certaines zones, de plus en plus étendues dans le centre, passées sous l'emprise des jihadistes, ces derniers appliquent avec vigueur leur vision sociale.
Les civils se retrouvent aussi souvent pris entre deux feux dans les affrontements entre groupes armés rivaux, y compris entre ceux affiliés à Al-Qaïda et à l'organisation Etat islamique, qui sévit également au Mali et au Sahel.
L'élu qui déplorait qu'il ne restait rien de Diallassagou s'est plaint que les alertes données par les populations aient été entendues trop tard. "On a tout dit mais les dispositions n'ont pas été prises. Les autorités étaient prévenues à 15H00, 16H00, 17H00, mais ils sont arrivés le lendemain matin à 10H00", a-t-il dit sans préciser le jour.
Le nombre de civils tués dans des attaques attribuées à des groupes extrémistes a quasiment doublé depuis 2020 au Sahel central, affirme une coalition d'ONG ouest-africaines dans un rapport publié jeudi.
Un document de l'ONU publié en mars indiquait que près de 600 civils avaient été tués au Mali en 2021 dans des violences imputées principalement aux groupes jihadistes, mais aussi aux milices d'autodéfense et aux forces armées.