Pourquoi le gouverneur de Jakarta est-il jugé pour blasphème?

Des milliers de musulmans manifestent contre Ahok, Jakarka, Indonésie, le 2 décembre 2016.

Le gouverneur chrétien de Jakarta, Basuki Tjahaja Purnama, est jugé depuis mardi pour blasphème, un délit pour lequel il encourt jusqu'à cinq ans de prison en Indonésie, pays musulman le plus peuplé au monde.

Il lui est reproché d'avoir insulté le Coran à la suite de récentes déclarations lors de la campagne pour l'élection du gouverneur en février, à laquelle il brigue un nouveau mandat.

Des experts observent que cette affaire est aussi politique, dans le mesure où des opposants au gouverneur cherchent à exploiter la controverse en vue du scrutin.

Qui est devant le tribunal?

Purnama, surnommé Ahok, est le premier gouverneur non musulman de la capitale indonésienne depuis plus d'un demi-siècle, et il est issu de la minorité chinoise.

Agé de 50 ans, il est devenu très populaire à la faveur de sa détermination à lutter contre la corruption et entreprendre des réformes à Jakarta, métropole engorgée et désorganisée de 10 millions d'habitants.

Mais son franc-parler lui a valu des inimitiés, notamment des partisans d'une ligne dure de l'islam farouchement opposés à un gouverneur de confession chrétienne, religion minoritaire en Indonésie.

Comment l'affaire a-t-elle débuté?

Au cours d'un déplacement pendant la campagne électorale en septembre, Ahok avait déclaré que l'interprétation par certains oulémas (théologiens musulmans) d'un verset du Coran selon lequel un musulman ne doit élire qu'un dirigeant musulman était erronée.

Son discours a été mis en ligne et s'est répandu comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, provoquant la colère de musulmans conservateurs dénonçant ses déclarations comme une insulte.

En novembre, une manifestation à l'appel d'organisations islamistes partisanes d'une ligne dure et réclamant l'incarcération du gouverneur a réuni plus de 100.000 participants à Jakarta et s'est achevée par des affrontements avec la police.

Deux semaines plus tard, le gouverneur a été inculpé d'insulte envers l'islam, avant que l'affaire ne soit renvoyée devant le tribunal en un temps record.

Pourquoi le blasphème?

En vertu d'une loi qui remonte à 1965, toute personne qui insulte l'une des six religions reconnues par la Constitution indonésienne peut être inculpée de blasphème et incarcérée.

Des critiques observent que ce texte est aujourd'hui utilisé pour persécuter des minorités, telles que les chiites dans ce pays à majorité sunnite, et dans certains cas même des athées.

En 2012, un homme a ainsi été condamné à deux ans et demi de prison pour avoir écrit sur son compte Facebook "Dieu n'existe pas".

Qui d'autre est impliqué?

L'élection en février du gouverneur de Jakarta -- la capitale politique et financière de l'Indonésie -- est considérée comme un tremplin pour le scrutin présidentiel.

La campagne électorale, dans laquelle cette affaire de blasphème est omniprésente, est marquée par une lutte entre les partis politiques les plus influents du pays.

Ahok fait face à deux opposants musulmans: Agus Harimurti Yudhoyono -le fils de l'ancien président Susilo Bambang Yudhoyono- et Anies Baswedan, un ancien ministre de l'Education soutenu par Prabowo Subianto, ex-candidat malheureux à la présidentielle de 2014 face à Joko Widodo.

La compétition entre les trois candidats est interprétée par des observateurs comme une lutte entre Yudhoyono, Subianto et Widodo -- allié de Purnama --, en vue de la prochaine présidentielle en 2019.

Autre acteur majeur, le Front des défenseurs de l'islam (FPI), organisation à la ligne dure se présentant comme un chantre de l'ordre moral très active dans les manifestations contre Ahok.

Quelle issue?

Le FPI et d'autres groupes islamistes ont promis de maintenir la pression jusqu'à ce que Purnama soit jugé.

En revanche, des ONG de défense des droits de l'homme ont appelé à classer l'affaire, estimant qu'elle contribuait à éroder davantage la réputation de pluralisme de l'Indonésie.

Le président indonésien et la police ont émis l'espoir que cette affaire s'achève rapidement.

Avec AFP