Cet ancien fonctionnaire rwandais, jugé depuis lundi à Paris pour sa participation au génocide de 1994, est l'homme des "surprises" et de l'ambiguïté.
Chemisette grise et fines lunettes, il serre et desserre les mains, écarte parfois les bras pour appuyer son propos, dans un français impeccable. Ses explications, souvent, rendent plus complexe et insaisissable la réalité.
Ce père d'une famille soudée de sept enfants est "concentré" sur sa défense dans ce "dossier accablant" où il est accusé - au côté de Tito Barahira, auquel il a succédé à la tête de Kabarondo - d'avoir été le "donneur d'ordre" de massacres épouvantables dans cette commune de l'est du Rwanda début avril 1994. Des crimes qu'il nie.
Il décrit une vie de malentendus et de "surprises". La plus grande fut sans conteste, selon ce fils de paysan, sa nomination à la tête de sa commune natale le 6 mai 1986. Il revient d'une formation au Kenya et est alors ingénieur forestier en charge du reboisement.
"Je croise une voiture nommée Nissan Patrol. C'était une voiture utilisée par les services de renseignement. Le chauffeur m'arrête et me dit qu'il cherche un certain Ngenzi Octavien. Je pense alors que c'est foutu pour moi", dit-il, rappelant la crainte inspirée par ces services tout-puissants dans un régime de parti unique.
Quelques heures plus tard, il est à Kigali devant le secrétaire général du ministère de l'Intérieur qui l'accueille d'un "Bonjour Monsieur le bourgmestre" et lui dit qu'il doit "prêter serment le lendemain même". "J'ai été le premier surpris".
- 'Solidarité villageoise' -
La cour lui demande qui l'avait recommandé. Il élude, évoque ses ambitions contrariées: "J'ai été vexé. Je faisais des études pour devenir quand même plus que bourgmestre." Peut-être l'influent colonel Pierre-Célestin Rwagafilita, dont plusieurs témoins disent qu'il était proche, a-t-il suggéré son nom? "Un piston" qu'il dit ignorer. Comment expliquer que le fils du colonel lui ait rendu visite en prison? "Solidarité villageoise."
Octavien Ngenzi se veut pédagogue, pour mieux donner à voir la réalité rwandaise, et convoque un épisode traumatisant de sa jeunesse. Il avait 15-16 ans quand son école a été la cible d'attaques anti tutsi. "Beaucoup d'élèves sont morts", lui a été "tabassé parce que considéré comme Tutsi", en dépit d'une carte d'identité portant la mention "Hutu".
"Ma mère était Tutsi, mon père était Hutu. Qui je suis? Il me reste des questions", philosophe-t-il, expliquant qu'il y avait beaucoup de brassage ethnique dans sa région. "On ne savait pas bien qui était Hutu et Tutsi". "Le génocide a détruit les liens", ajoute-t-il, niant toutefois avoir constaté une montée de l'extrémisme dans sa région avant "la catastrophe" qui fit plus de 800.000 morts en cent jours au Rwanda.
Plusieurs témoins le décrivent comme un bon bourgmestre jusqu'au tournant de 1990, quand la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR, actuellement au pouvoir) lance une offensive dans le nord du pays, depuis l'Ouganda. Il nie s'être radicalisé, rappelle que "c'était la guerre, avec une armée qui envahissait le pays".
Il louvoie aussi sur ses choix. Pourquoi avoir adhéré à l'ex-parti unique, le MRND, après l'avènement du multipartisme en 1991? "Par dévouement. Quand j'ai vu qu'il n'y avait aucun candidat de ma commune, je me suis retrouvé dans l'obligation de me porter candidat volontaire".
Mêmes circonvolutions quant à sa conversion à l'islam aux Comores où il avait fui après avril 1994 - un acte "utilitaire" - ou l'usage d'un faux nom dans sa vaine demande d'asile en France avant son arrestation en 2010 - "pour augmenter" ses chances et non pour éviter des poursuites.
L'ambiguïté jusqu'à sa date de naissance: 1958 pour la justice française et 1956 pour lui.
Afp