"Œil pour œil, dent pour dent !" Dans un pays en conflit où nombre de tribunaux ont été désertés par les juges, la justice se résume trop souvent à ces mots pour les Centrafricains.
Mais quand un comédien les déclame en grimaçant devant le public de l'Alliance française de Bangui, les rires éclipsent un instant les mauvais souvenirs.
Aborder des thématiques sensibles par l’humour, c’est le parti pris de la pièce Kota da ti ngbanga (Le grand tribunal), dont la tournée débutée en octobre 2018 a réuni plus de 12.000 spectateurs à travers le pays.
Lire aussi : Plus aucun "obstacle" aux enquêtes de la Cour pénale spéciale en CentrafriqueSon objectif : informer les populations sur le fonctionnement et la mission la CPS. Une juridiction chargée de mettre en acte cette réplique martelée par les acteurs : simple soldat ou ministre, "personne n’échappera à la justice".
Une promesse ambitieuse dans un pays marqué par des décennies d'impunité. Crée par décret en 2015 mais effectivement lancée en octobre 2018, composée de juges nationaux et internationaux, la Cour est chargée de juger les violations graves des droits humains commises en République centrafricaine depuis 2003.
Huit mois plus tard, ses magistrats ont instruit quatre dossiers. Trois autres font l'objet d'une enquête préliminaire. Au total, 27 plaintes ont été déposées.
Le bilan est bien maigre au regard du nombre de victimes et de crimes perpétrés. Mais les procédures sont longues et complexes: la CPS ne dispose que de quatre procureurs et vingt officiers de police judiciaires pour juger des crimes commis durant quinze années secouées par une succession de conflits.
Un manque de moyens humains et financiers dont s’alarme l’ONG Human Rights Watch dans un rapport publié mercredi qui appelle au recrutement "sans attendre de personnel supplémentaire".
Médecin légiste, psychologue, personnel dédié à la protection des témoins… "Il est difficile de trouver de telles expertises sur place, il faut donc bien souvent recruter des étrangers, ce qui est plus long et coûteux", explique Nelly Mandengue, responsable de la communication pour la CPS.
Si les promesses des bailleurs devraient permettre à l’instance de boucler son budget pour l’année 2019, il lui faudra néanmoins trouver 12,5 millions d’euros chaque année pour assurer son fonctionnement.
Lire aussi : Lente mise en place de la Cour pénale spéciale en CentrafriqueAutre défi majeur : une situation sécuritaire toujours fragile malgré l’accord de paix signé le 6 février. Dans un territoire contrôlé à 80% par les groupes armés, "protéger les juges, les témoins et les victimes est un enjeu crucial", rappelle HRW.
D'autant plus que victimes et bourreaux habitent souvent le même village ou quartier. Certes, la possibilité de se constituer partie civile doit faciliter le dépôt de plainte.
Mais avec un effectif prévu de sept personnes, l’unité de protection des témoins n’est pas en mesure d’assurer pleinement sa mission, souligne HRW.
- Plus d'impunité -
Du côté des présumés coupables, la situation sécuritaire limite également les possibilités d’interpellation et d’incarcération : "une arrestation peut potentiellement déstabiliser toute une zone", explique Nelly Mandengue.
A ce jour, rien ne filtre quant au profil des premiers criminels visés par la CPS. "Il est difficile d’envisager qu’elle poursuive les leaders des groupes armés les plus importants, ou l’entourage proche du chef de l’Etat", estime Hans de Marie Heungoup, politologue et chercheur à l'International Crisis Group.
En juin, le ministre de la justice Flavien Mbata l'a toutefois rassuré : l'accord de paix de Khartoum, qui a offert des postes gouvernementaux à plusieurs chefs rebelles, "ne limite pas les compétences de la CPS".
La question est brûlante car la population ne veut plus entendre parler d’impunité : deux tiers des Centrafricains (61%) sont opposés à l’amnistie des coupables, selon une enquête réalisée par l'université d'Harvard en février 2019.
Si la majorité des sondés déclare avoir confiance en la CPS pour juger les coupables, seule une infime partie attend une compensation financière (4%) ou la reconnaissance du statut de victime (15%).