Sur le parvis de l'église en briques, face à une estrade entourée de drapeaux bleu et jaune, les fidèles se massent, certains assis dans l'herbe, pour assister à la messe en plein air, dite en kinyarwanda, en français et en anglais.
Ils sont des milliers de pèlerins à avoir convergé lundi vers le sanctuaire de Kibeho, pour l'anniversaire de cette première apparition. Beaucoup sont arrivés en bus, mais aussi à pied ou encore à vélo.
"C'est la quatrième fois que je viens ici. C'était un long trajet, mais ce n'est pas grave car je viens prier en Terre Sainte", explique Alphonse Munyemana, 19 ans, un chauffeur de vélo-taxi arrivé dimanche après-midi depuis le district de Nyamagabe plus au nord, après dix heures de voyage à vélo.
Beaucoup de fidèles - venus principalement du Rwanda et des pays frontaliers - ont dormi sur l'herbe devant l'église, n'ayant pas les moyens de s'offrir une chambre dans un des hôtels de la ville, qui affichent d'ailleurs tous complets.
Petite bourgade isolée, Kibeho est devenue un lieu de pèlerinage quand en 2001 l'Eglise catholique a reconnu l'authenticité des apparitions de la Vierge Marie en 1981 et au cours des années suivantes à trois adolescentes rwandaises: Alphonsine Mumureke, Nathalie Mukamazimpaka et Marie-Claire Mukangango.
En contrebas de la colline où se dresse l'église, des fidèles font la queue pour remplir des bidons d'eau de la "Source de la Vierge Marie", une sorte de mare à la couleur brunâtre.
"Par le passé, j'avais des problèmes de gonflements aux pieds et des problèmes respiratoires, mais grâce à l'eau bénite je suis guérie", assure Caritas Niyibigira, 47 ans, une Rwandaise originaire de Rubavu, dans l'ouest du pays.
Grace Morris, 31 ans, venu de l'Ouganda voisin, dit avoir vu plus tôt cette année un jeune garçon paralysé retrouver l'usage de ses membres après s'être recueilli dans la Chapelle des apparitions, l'ancien dortoir de l'école secondaire où la Vierge Marie se serait manifestée aux trois collégiennes. "Nous avons vu l'enfant sortir en courant de la chapelle et en hurlant de joie", affirme-t-il.
Des rivières de sang
L'eau de cette source, assure Zbigniew Pawlowski, prêtre polonais et recteur du sanctuaire de Kibeho depuis 11 ans, est comme "celle de Lourdes, un peu spéciale". Il précise toutefois que les "miracles" de Kibeho n'ont pas encore été étudiés par une commission scientifique et ne sont donc pas reconnus par le Saint-Siège.
Le long de la route principale menant à l'église, les pèlerins peuvent acheter dans les boutiques des chapelets, des statues de la Vierge Marie ou encore des tee-shirts sur lesquels il est inscrit: "Je suis la Mère du Verbe", phrase qu'aurait prononcée la Vierge Marie lors de sa première apparition à Kibeho.
Outre un message appelant à la conversion, elle aurait aussi, selon les interprétations, mis en garde contre le génocide qui, 13 ans plus tard, en 1994, fit environ 800.000 morts au Rwanda, essentiellement parmi la minorité tutsi.
"Dans leurs voyages mystiques, les filles voyaient des collines pleines de cadavres, des rivières pleines de sang, des collines et des maisons brûlées (...) alors certains disent que la Vierge Marie a montré ce qui allait se passer", détaille M. Pawlowski.
Le génocide n'épargnera d'ailleurs pas Kibeho. En avril 1994, des centaines de Tutsi réfugiés dans l'église de la paroisse, située à quelque 800 mètres du sanctuaire, ont été massacrés par les miliciens hutu Interahamwe.
Entre avril et juillet 1994 de nombreuses églises furent le théâtre de tueries de masses, les tueurs y trouvant leurs victimes rassemblées, parfois par des prêtres qui livraient ensuite leurs ouailles aux bourreaux.
Le 21 novembre, l'Eglise catholique rwandaise a, dans une lettre signée par les neuf évêques du Rwanda, demandé pardon pour tous les chrétiens ayant été impliqués dans le génocide. Des excuses jugées "inadéquates" par le gouvernement rwandais, qui a estimé que le Vatican lui-même devrait demander pardon.
Depuis 1994, l'église est en perte de vitesse au Rwanda. Si la moitié de la population est encore catholique, beaucoup se sont tournés vers les églises pentecôtistes dites "de réveil".
Avec AFP