L'armée soudanaise dit renoncer au pouvoir après des mois de manifestations

ARCHIVES - Le chef des forces armées soudanaises, le général Abdel-Fattah Burhan, s'exprime lors d'une conférence de presse au Commandement général des forces armées à Khartoum, au Soudan, le mardi 26 octobre 2021.

Le général Abdel Fattah al-Burhane, qui dirige le Soudan depuis le putsch du 25 octobre, a annoncé lundi vouloir laisser place à un gouvernement civil, au cinquième jour de sit-in décidés à en finir avec le pouvoir militaire et sa répression sanglante.

Dans une allocution télévisée, le chef de l'armée et numéro un du Conseil souverain – plus haute autorité du pays – a annoncé que "l'armée ne participera plus au dialogue" national lancé sous l'égide de l'ONU et de l'Union africaine (UA) notamment, pour laisser les forces civiles former un "gouvernement de personnalités compétentes".

"Après sa formation (...) nous allons dissoudre le Conseil souverain et former un conseil suprême des forces armées", qui englobera également des paramilitaires et ne sera plus en charge que des questions de "défense et de sécurité".

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En 2019, la pression de la rue avait forcé l'armée à démettre l'un des siens, le dictateur Omar el-Béchir, puis à partager le pouvoir avec les civils – fait rare dans un pays sous la coupe des généraux quasiment toujours depuis son indépendance en 1956. Mais le putsch mené par le général Burhane le 25 octobre 2021 a radicalement changé la donne: les civils ont été arrêtés un temps et le gouvernement qu'ils tenaient – aux côtés du Conseil souverain – a été limogé.

Depuis, chaque semaine, les prodémocratie manifestaient pour réclamer un pouvoir civil. Leur mouvement qui s'était essoufflé il y a plusieurs mois a semblé repartir jeudi. Ce jour-là – anniversaire symbolique d'un autre coup d'Etat, celui d'Omar el-Béchir, et de la "révolution" qui le renversa – des dizaines de milliers de Soudanais ont manifesté.

Face à eux, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles. Bilan: neuf manifestants tués, des centaines de blessés et autant d'arrestations, selon des médecins prodémocratie qui recensent depuis octobre 114 morts et des milliers de blessés.

"Un mois ou un an"

Jeudi a été la journée la plus meurtrière de l'année et ce déchaînement de violence a déclenché ce que plusieurs manifestants ont décrit à l'AFP comme un mouvement "spontané".

Lundi, un manifestant affirme ainsi avoir rejoint le sit-in dans le centre de la capitale pour "montrer que la rue est toujours là, malgré tous les frères et les amis que nous avons perdus".

"On restera jusqu'à ce que le régime tombe, qu'on obtienne justice pour ceux qui ont été tués ou blessés", poursuit-il, en refusant de donner son nom. "Je vais participer à ce sit-in jusqu'à ce qu'on nous dise de lever le camp, que cela prenne un mois ou un an, même deux ans".

Depuis vendredi, les manifestants ne quittent plus leurs trois sit-in à Khartoum, dans sa banlieue nord-ouest Omdourman et dans sa banlieue nord-est Khartoum-Nord. S'ils ont choisi trois points différents, c'est en raison du blocage régulier par les forces de sécurité des ponts qui relient la capitale à chacune de ses banlieues, empêchant un rassemblement massif dans un seul endroit.

Jusqu'ici, les Forces pour la liberté et le changement (FLC), colonne vertébrale du gouvernement civil limogé lors du putsch, refusaient de participer au dialogue national.

"Nous n'avons pas d'interlocuteur", répétaient leurs cadres, tandis que les partis politiques et les comités de résistance, qui organisent les manifestations, assuraient ne pas vouloir discuter avant la fin de la répression et la libération des militants et manifestants arrêtés. L'armée et ses alliés – paramilitaires ou ex-rebelles ayant signé la paix avec Khartoum – en revanche ne cessaient d'appeler à rejoindre la table des négociations.

Nouvelle donne

L'allocution de lundi change totalement cette donne. Les FLC tenaient lundi soir une réunion en urgence pour décider de la marche à suivre après l'annonce du général Burhane, a indiqué un de leurs cadres à l'AFP.

Reste une inconnue, la rue qui, elle, n'a qu'un slogan depuis avant même le putsch: "ni partenariat, ni négociation" avec des généraux, qui ont trahi les civils, selon ces derniers, avant même que la quasi-totalité du gouvernement civil ne soit arrêtée le jour du coup d'Etat.

Après la "révolution" qui renversa Omar el-Béchir en 2019, militaires et civils avaient accepté de mener ensemble le pays vers ses premières élections libres après 30 années de dictature militaro-islamiste.

Quand le putsch a brisé cette alliance, la communauté internationale a fermé le robinet de l'aide, espérant faire plier les militaires. Mais ceux-ci, d'anciens commandants de Béchir, ont déjà survécu à des décennies d'embargo international sous la dictature et se montrent inflexibles.

L'économie, en revanche, déjà à genoux, ne cesse de plonger un peu plus, entre dévaluation exponentielle et inflation à plus de 200% chaque mois. Les neuf morts de jeudi ont provoqué une levée de boucliers à l'étranger qui pointait du doigt "l'impunité des forces de sécurité", poussant la justice soudanaise à ordonner dimanche une enquête.