Suspension du chef du renseignement somalien, bras de fer dans l'exécutif

Le Premier ministre somalien Mohammed Hussein Roble et Fahad Yasin, le chef de la National Intelligence Service Agency (NISA) de la Somalie

Le Premier ministre somalien Mohammed Hussein Roble a suspendu lundi le chef de l'agence du renseignement Fahad Yasin et a nommé Bashir Mohamed Gobe directeur par intérim. Mais il a eu une réprimande publique du président qui a mis en évidence des divisions croissantes au sein de l'élite politique.

La suspension de M. Yasin, le directeur de la National Intelligence Service Agency (NISA) de la Somalie, fait suite à des mois de querelles déclenchées par un différend au sujet d'enquêtes sur le kidnapping et le meurtre non résolu d’un agent de renseignement.

M. Hussein Roble a déclaré avoir demandé à Fahad Yasin de démissionner pour ne pas avoir remis de rapport sur le meurtre d’Ikran Tahlil Farah, une jeune femme qui travaillait dans le département de la cybersécurité et a disparu fin juin. Il lui avait donné un ultimatum de 48 heures pour expliquer les circonstances de la mort de l'agent espion Ikran Tahlil.

Yasin avait plutôt répondu en exigeant que le ched de l'Etat Farmaajo convoque et préside une réunion du conseil de sécurité nationale pour faire face à la crise

La semaine dernière, le gouvernement a imputé la mort de la jeune femme à Al-Shabaab; provoquant des messages de colère sur les réseaux sociaux de la part de personnes qui pensent que l'agence elle-même avait été impliquée dans le meurtre de Ikran Tahlil Farah.

"Hon. Amin Jeesow a admis que le véhicule dans lequel Ikran Tahliil était monté appartenait à @HSNQ_NISA dans leur enceinte. Depuis quand Alshabaab est-il entré dans le quartier général du renseignement somalien ?Le blâme sur Alshabaab est boiteux et stupide pour Fahad Yasin de prendre les Somaliens pour des imbéciles !", avait twitté Axlam Abdi.

Le journal "The Frontiers" explique que des assaillants ont enlevé Ikran Tahlil Farah, 24 ans, une cyber-experte de l'Agence nationale de renseignement et de sécurité (NISA) de la Somalie, près de son domicile à Mogadiscio, le 26 juin 2021. Ses ravisseurs l'ont torturée et assassinée. Le chef du renseignement Fahad Yasin a blâmé les terroristes d'Al-Shabaab pour le meurtre, mais la famille d'Ikran a accusé Yasin et ses proches d'en plutôt être responsables.

La plupart des Somaliens croyaient la famille d'Ikran. Des analystes somaliens ont noté que le meurtre d'Ikran correspondait à un schéma de la NISA assassinant ses propres employés pour couvrir les crimes de l'agence et ceux de Mohamed Farmaajo, le président somalien qui a poussé la Somalie au bord du gouffre en cherchant à prolonger illégalement son mandat. Al Shabaab, quant à lui, qui revendique souvent le mérite d'avoir tué des responsables de la sécurité somaliens, a explicitement nié toute implication dans l'affaire Ikran.

Reproches du chef de l'Etat

De son côté, le chef de l’Etat, Mohamed Abdullahi Mohamed, dit "Farmaajo" a publié sa propre déclaration, quelques heures plus tard, qualifiant la décision du Premier ministre d'inconstitutionnelle. "(Yasin) devrait continuer à être le directeur de la NISA", a déclaré le président.

Cette "situation montre que le fossé entre le président et le Premier ministre est totalement ouvert - quelque chose qui bouillonnait sous la surface depuis un certain temps", a confié à Reuters Mahmood Omar, analyste pour la Somalie à International Crisis Group.

Il estime qu'elle pourrait très probablement semer de graves divisions au sein des services de sécurité et entraînera le type de violence survenue en Somalie en avril entre les forces de sécurité fragmentées.

La suspension de M. Yasin a déchainé les Somaliens sur les réseaux sociaux. Certains défendent la décision du premier ministre; d'autres soutiennent M. Yasin, qui selon eux, est accusé à tort d'être tenu responsable du meurtre d'Ikran.

"Je suis avec Fahad Yasin et NISA, les moryaans n'ont aucune preuve que NISA était derrière l'enlèvement d'Ikrans, mais veulent plutôt l'utiliser pour la politique et leur cuqdad contre N&N et Fahad Yasin. -68 Iq moryaans ont été maltraités et intimidés par Shabab pendant 14 ans, mais pas un seul mot de leur part.", a twitté un Somalien qui se fait appeler El Capo.

Selon "The Frontier", les Somaliens suggèrent que le motif du meurtre d'Ikran était sa connaissance du transfert illégal par Farmaajo de recrues somaliennes pour une formation en Érythrée d'où le dictateur érythréen Isaias Afwerki les a déployées dans le Tigré pour soutenir sa campagne génocidaire et celle du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed contre la province.

La situation des Somaliens disparus reste un paratonnerre dans la société somalienne ; de nombreux parents somaliens n'ont pas eu de nouvelles de leurs fils depuis plus d'un an. La croyance que Yasin a assassiné Ikran pour couvrir l'affaire a fait déborder la colère. Les efforts des forces de sécurité fidèles au chef du renseignement pour faire taire les journalistes enquêtant sur l'affaire ont simplement jeté de l'huile sur le feu.

Selon certains médias locaux, le chef de l'Etat Farmaajo se prépare à rencontrer le nouveau DG NISA, le lieutenant-général Bashir Mohamed après que le DG déchu Fahad Yasin a accepté de lui passer les rênes.

Ocean Media News a écrit que "l'ancien président somalien
Hassan S .Mohamud a félicité le commandant par intérim de la NISA, le général de division Bashir Mohamed Jama, et lui a souhaité plein succès dans sa tâche difficile
."

Si cela se confirmait, ce serait une grande victoire pour le Premier ministre Roble sur Farmaajo dans leurs luttes pour la suprématie.

M. Roble a demandé aux chefs de la police et de la NISA de travailler avec les procureurs des tribunaux militaires pour rouvrir l'enquête sur le cas d'Ikran Tahlil.

Ikran Tahlil n'est pas le premier membre de la NISA à être portée disparu et tuée. Sur les réseaux sociaux circule une liste contenant les noms des agants et officiers de la NISA dont la mort reste encore un mystère.