Tensions raciales: l'espoir déçu des années Obama

Des manifestations avaient éclaté dans les rues de Baltimore après la mort de Freddie Gray, dans l'État du Maryland, le 29 avril 2015.

Un nouveau sondage début janvier confirme le verdict de plusieurs études publiées dans les derniers mois de l'administration Obama: 52% des personnes interrogées par l'institut Gallup estiment que le pays a régressé sur les questions raciales ces huit dernières années, contre 25% seulement qui pensent qu'il a progressé.

"Les gens pleuraient de joie", se rappelle une Portoricaine du Bronx: huit ans après l'élection de Barack Obama, l'espoir qu'il avait suscité de Noirs et Blancs vivant en harmonie aux Etats-Unis s'est évanoui, et chacun reconnaît qu'il faudra davantage qu'un président noir pour y arriver.

Barack Obama l'a reconnu dans son discours d'adieu: "Après mon élection, certains parlaient d'une Amérique post-raciale. Même s'ils étaient sans doute bien intentionnés, ça n'était pas une vision réaliste (...) La race reste une force puissante et souvent polarisante dans notre société".

"Il faut souvent des générations pour changer les comportements", a-t-il ajouté, avant de citer le célèbre roman "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur": "On ne peut vraiment comprendre quelqu'un qu'en voyant les choses de son point de vue et en se mettant dans sa peau".

Violences

Un appel à un travail de compréhension mutuelle martelé pendant sa présidence, surtout dans les dernières années entachées de violences policières contre des Noirs.

Des violences qui ont donné naissance au mouvement Black Lives Matter ("la vie des Noirs compte"), et ont entraîné des émeutes dans certaines villes. Le tout amplifié par les réseaux sociaux, où certains expriment ouvertement leur rejet d'un président noir, contribuant à alourdir le climat.

Pas surprenant du coup que, plus de 50 ans après l'interdiction de la ségrégation raciale et 150 ans après l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis, beaucoup aient l'impression que les choses stagnent.

"Tout le monde avait beaucoup d'espoir, des gens pleuraient de joie" après l'élection, "mais le racisme continue et personne n'y peut rien", constate fataliste Maria Fragosa, Portoricaine du quartier new-yorkais du Bronx.

Barack Obama "n'a pas fait de différence", abonde Shakeya Mervin, barbier dans un salon de coiffure noir de Harlem, mais "il a fait ce qu'il pouvait: s'il en avait fait plus, ç'aurait été la bagarre".

Dennis Carlson, expert blanc pour une société d'assurance-santé, renchérit: le président démocrate "n'est pas responsable, il a fait ce qu'il pouvait pour garder la tête froide, il a donné l'exemple".

Co-fondatrice du Centre d'études des relations inter-raciales de l'Université de Floride, Sharon Rush explique que Barack Obama jouait au départ l'équilibriste: "Etant Noir, il savait que la couleur fait une différence et, en même temps, il devait représenter tout le monde et la philosophie pendant son mandat était que la race ne compte pas". "Il a fait ce qu'il a pu pour ne pas jeter de l'huile sur le feu", même si cela lui a valu "la désapprobation de ceux qui trouvaient qu'il n'en faisait pas assez".

Facilement 'mal interprété'

La difficulté du dialogue inter-racial est que tout est "facilement mal interprété", souligne Mme Rush. Du coup, les discussions sont "tendues" et les gens les fuient, alors qu'"il faut parler pour améliorer les choses".

Le slogan "Black Lives Matter" en est "un excellent exemple" que, selon elle, "certains Blancs ont compris comme +la vie des Blancs ne comptent pas+".

Dans un proche avenir, une chose est claire: personne n'attend d'amélioration sous le républicain Donald Trump, qui a multiplié pendant la campagne les diatribes contre les Hispaniques et les musulmans, entre autres.

Mais Jena Delville-Joseph, jeune collègue noire de Dennis Carlson à Harlem, espère que les prochaines générations vont faire bouger les choses. Et voit dans les tensions actuelles "le baroud d'honneur de ceux qui refusent de voir le pays comme il est. Dans 20 ans, ce pays sera très différent avec l'évolution démographique".

La proportion de Blancs aux Etats-Unis doit en effet diminuer de 16% d'ici 2055, tandis que d'autres communautés, hispanique surtout mais aussi asiatique, vont augmenter sensiblement.

Mais moins de Blancs ne signifie pas forcément la fin de leur domination sur les instances de pouvoir comme le Congrès ou les tribunaux, souligne Mme Rush. L'harmonie viendra, selon elle, d'un travail sur soi. Elle espère notamment que de nombreux Blancs feront, comme elle, "le long chemin" qui permet de "comprendre le privilège qu'est d'être Blanc".

Avec AFP