Aujourd'hui, son frère la porte pour qu'elle vienne chercher un chèque de compensation offert par l'Etat togolais au nom de la réconciliation nationale.
"Les gens ont emporté tous ses stocks de céréales, ses pagnes, ses bijoux... et ils l'ont tabassée. Cette situation l'a traumatisée", explique son frère.
Et pourtant, la cultivatrice assure qu'elle a "tout pardonné". "C'est fini", lance-t-elle difficilement en allant récupérer un chèque de quelques centaines d'euros pour "réparation" financière.
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Atakpamé, localité rurale à 175 km au nord de Lomé située dans une région favorable à l'opposition, fût l'épicentre des violences post-électorales de 2005 qui ont conduit Faure Gnassingbé au pouvoir, après 38 ans de règne sans partage de son père, le général Gnassingbé Eyadéma.
Cet épisode reste une page sombre de l'histoire de ce petit pays d'Afrique de l'Ouest: les estimations varient de 105 morts, selon le pouvoir, à 811 selon l'opposition.
Les Nations unies ont estimé qu'il y avait eu "entre 400 et 500 morts".
Si le chef de l'Etat a toujours dénoncé "ces attentats, troubles et violences insensées", Yacouba, ancien propriétaire d'un maquis (bar de rue), accuse les militaires.
"Ils ont pris une nuit pour tout saccager dans ma maison et brûler ma buvette, très populaire. J'ai tout perdu", confie-t-il à l'AFP.
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En mai 2009, le gouvernement - toujours dirigé par Faure Gnassingbé - a mis en place une Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), chargée de "faire la lumière sur les violences politiques entre 1958 et 2005".
La Commission a recueilli pendant près de trois ans des témoignages, qui ont permis d'identifier au total plus de 22.000 personnes à indemniser pour un montant compris entre 35 et 40 milliards de francs CFA (53 et 61 millions d'euros).
Pour l'année 2005, la Commission a enregistré 12.000 victimes, dont 7.000 dans la seule ville d'Atakpamé.
Le processus s'est accéléré ces dernièrs mois, et l'Etat a déjà alloué une partie de la somme (3 millions d'euros).
Le gouvernement est bousculé par une très forte contestation populaire, qui a vu des dizaines de milliers de personnes dans les rues demander la démission du président Gnassingbé, réélu en 2010 puis 2015 dans des scrutins fortement contestés par les partis d'opposition.
En décembre une centaine de personnes ont été indemnisées, et dans la seconde phase qui a démarré mi-avril, quelque 2.500 personnes recevront entre 420.000 et 2,1 millions de francs CFA, soit entre 640 et 3.200 euros.
A Atakpamé, le HCRRUN, Haut-Commissariat à la Réconciliation et au Renforcement de l'Unité Nationale, s'est installé dans les locaux du centre des affaires sociales. Les noms des victimes sont affichés sur un petit tableau dans la cour.
"Des Togolais se sont retournés les uns contre les autres et se sont entre-tués, au nom de la politique. Aujourd'hui, ils n'arrivent pas à expliquer ce qui leur est arrivé.", confie Awa Nana-Daboya, présidente du HCRRUN.
- "En plein coeur" -
En juillet 2007, le président Gnassingbé s'était rendu dans cette localité martyre, où il avait promis que "plus jamais cela n'+arriverait+ sur la terre de +nos+ aïeux". "
Pourtant, dix ans plus tard, des scènes de chaos ont éclaté à Lomé et dans le nord du pays. Le niveau des violences, qui ont fait une quinzaine de morts, n'a rien à voir avec 2005, mais ce goût de déjà-vu inquiète les habitants d'Atakpamé à deux ans des prochaines élections.
"Nous avons vécu le calvaire. Des jeunes ont tout saccagé dans la ville. Des militaires ont tiré à balle réelle pendant des jours. Ma femme a été tuée d'une balle en plein coeur, alors qu'elle travaillait dans son salon de coiffure", raconte Adamon Sodji, habitant d'Atakpamé, la larme à l'oeil.
La plupart des victimes présentes ce jour-là pour récupérer leur chèque, affirment vouloir aller de l'avant, "passer l'éponge", comme ils disent. A Atakpamé, il n'y a eu aucune violence lors des dernières manifestations. Les souvenirs sont encore trop douloureux.
"L'indemnisation ne suffit pas, mais j'accepte et je tourne cette page sombre de ma vie", lance Yacouba, au milieu d'une cinquantaine de personnes.
Pourtant, pour de nombreuses organisations de défense des droits de l'Homme et certains partis politiques de l'opposition, la paix ne pourra se faire qu'après un véritable processus judiciaire: aucun auteur présumé des violences n'a été poursuivi depuis 2005.
En avril 2010, l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat-France) et Amnesty International avaient appelé le président togolais à mettre un terme à l'"impunité" qui "perdure toujours au Togo".
"C'est du cinéma. Nous sommes fatigués de ce système qui nous régente depuis des décennies", critique Cyrille, un enseignant à la retraite. "La seule préoccupation des Togolais aujourd'hui, c'est l'alternance".
Avec AFP