Trois ans après, le Soudan du Sud est loin d'en avoir fini avec la guerre

Le président de la République du Soudan du Sud, Salva Kiir Mayardit, à gauche, se tient aux-côtés du président Omar Hassan Al-Bashir du Soudan, au centre, pendant les célébrations de l'indépendance, à Juba, Soudan du sud, le 9 Juillet 2011. epa/ GIORGO

Après avoir brièvement entrevu la fin de la guerre civile déclenchée le 15 décembre 2013, le Soudan du Sud a assisté ces derniers mois à l'implosion du processus de paix et au retour de violences à grande échelle qui font maintenant craindre une dérive génocidaire.

L'espoir d'un règlement du conflit, qui a fait des dizaines de milliers de morts et plus de trois millions de déplacés, et a été marqué par des atrocités à caractère ethnique, aura duré à peine deux mois.

Entre le retour fin avril à Juba du chef rebelle Riek Machar, pour former un gouvernement d'union nationale avec le président Salva Kiir, dans le cadre de l'accord de paix signé en août 2015, et les violents affrontements qui ont éclaté début juillet entre leurs troupes et fait des centaines de morts.

Pourchassé par les soldats de son rival, Riek Machar a fui le pays, avant d'appeler fin septembre à la reprise de la lutte armée. Exilé en Afrique du Sud, l'ancien vice-président est isolé, mais reste le chef de la rébellion.

La guerre, jusque-là largement circonscrite aux États septentrionaux d'Unité, du Haut-Nil et du Jonglei, s'est depuis étendue à la région de l'Equateur-Central entourant Juba.

"La guerre au Soudan du Sud continue à s'intensifier et s'étend à une partie de plus en plus grande du pays", note Alan Boswell, un analyste indépendant, qui s'attend à de nouvelles grandes offensives avec le retour de la saison sèche, qui vient de commencer.

Les deux camps ont recruté, parfois de force, de nouveaux soldats, dont des enfants, se préparant "à ce que de violents combats éclatent ce mois-ci, plus violents que ce qu'on a vu ces derniers mois", prévient-il.

"Il n'y a actuellement pas de processus de paix ou de plan politique", reprend M. Boswell. "Donc il n'y a pas de cadre pour que la communauté internationale puisse faire pression sur les parties pour qu'elles arrêtent".

"La communauté internationale a plus ou moins accepté que des combats sont sur le point d'éclater", ajoute-t-il. Et le "dialogue national" ouvert à tous, lancé jeudi par Salva Kiir, ne devrait pas inverser cette tendance.

Les tueries à caractère ethnique ont redoublé ces derniers mois, notamment dans la ville de Yei et ses environs, en Equateur-Central, poussant des dizaines de milliers de personnes à se réfugier en Ouganda voisin.

Des intérêts divergents

Ces atrocités ont suscité l'émoi de la communauté internationale. Des experts de l'ONU ont ainsi rapporté au début décembre qu'un "nettoyage ethnique" était en cours dans plusieurs régions du Soudan du sud.

A la mi-novembre, le conseiller spécial de l'ONU sur la prévention du génocide, Adama Dieng, avait affirmé devant le Conseil de sécurité avoir vu dans le pays "tous les signes qui montrent que la haine ethnique et le ciblage des civils peuvent déboucher sur un génocide si rien n'est fait pour l'empêcher".

"Ce qui se passe maintenant, c'est un évident ciblage ethnique, et si cela s'accroît encore, ce ne sera pas différent de ce qui s'est passé au Rwanda", acquiesce James Okuk, analyste politique à l'université de Juba.

Rien ne laisse penser qu'un camp puisse prendre le dessus militairement à moyen terme et transformer ses gains sur le terrain en gains politiques.

En Equateur, qui est "maintenant le principal théâtre de guerre", "le gouvernement n'a pratiquement aucun contrôle en dehors de quelques villes de garnison", note M. Boswell.

Mais les rebelles se sont aussi "révélés incapables de lancer des offensives contre les principaux bastions du gouvernement", parce qu'ils sont "très loin d'avoir les ressources" de celui-ci.

"Le gouvernement est plus fort militairement mais plus faible politiquement et vice versa pour les rebelles", résume l'expert. "La rébellion a de fortes sympathies dans le pays, mais militairement elle est faible."

La pression internationale a contraint le gouvernement sud-soudanais à accepter le déploiement à Juba d'une force de maintien de la paix additionnelle, forte de 4.000 hommes, sous mandat de l'ONU. Mais les modalités de ce déploiement et son calendrier restent incertains.

"Les voisins du Soudan du Sud pourraient arrêter tout ça n'importe quand s'ils le voulaient et en voyaient collectivement l'intérêt", estime M. Boswell. "Le problème, c'est que leurs intérêts sont souvent divergents. Depuis juillet, il n'y a réellement eu aucune politique ni aucun accord au niveau régional sur ce qu'il faut faire."

L'avenir est d'autant plus sombre que même les États-Unis "n'ont pas actuellement de politique sur le Soudan du Sud". "Personne ne s'attend à ce que les États-Unis prennent l'initiative sur cette question désormais. Et ça laisse un vide énorme."

Avec AFP