Tenues à l'écart des hommes dans une arène remplie à moins de 10%, les supportrices ne cachent pas leur joie d'être présentes, agitant drapeaux vert-blanc-rouge, les couleurs nationales, et immortalisant l'instant sur leurs téléphones à coup de selfies.
Au stade Azadi ("Liberté" en persan), l'enthousiasme est clairement féminin ce soir. Plus nombreuses que les hommes dans les gradins, les supportrices de la "Tim-é melli" ("équipe nationale" en persan) sont aussi bien plus bruyantes, plus colorées et motivées que leurs homologues masculins.
Armées de cornes de brumes et agitant drapeaux de la République islamique, elles assurent un bruit de fond continu, saluant avec chaleur chacun des buts de l'Iran, qui menait 12 à 0 après 75 minutes de jeu vers 18h30 (15h00 GMT).
Lire aussi : Femmes dans les stades: une délégation de la Fifa en IranTrès vite après la révolution islamique de 1979, les Iraniennes se sont vu refuser l'accès aux stades pour les compétitions de football hommes, officiellement pour les protéger de la grossièreté masculine.
Ce n'est pas la première fois depuis l'instauration de cet interdit que des femmes assistent à une rencontre masculine dans un stade en Iran, mais c'est la première fois qu'elles y assistent en si grand nombre, et surtout après avoir pu acheter elles-mêmes leur billet.
- "Liberté sans sélection" -
Les fois précédentes, les femmes admises au stade avaient été sélectionnées par les autorités. "Liberté sans sélection", titrait jeudi le quotidien réformateur Sharq. Sazandégui, autre quotidien réformateur, affichait sur toute sa une la photo de deux supportrices en liesse avec ce titre: "Les femmes de la Liberté".
Lire aussi : Le procureur général dit non aux femmes dans le stade en IranJusqu'à la dernière minute, Fatemeh, femme au foyer d'une trentaine d'années, était partagée entre joie et inquiétude. "Je suis juste inquiète. Inquiète de savoir si on va nous laisser entrer ou non. J'étais incroyablement excitée, mais maintenant, ça a fait place à de l'inquiétude", confiait-elle à l'extérieur du stade avant le début du match.
L'autorisation donnée à des femmes d'assister à la rencontre fait suite à une forte pression de la Fifa sur l'Iran, après l'émotion suscitée par la mort tragique en septembre d'une jeune femme, Sahar Khodayari, qui s'était immolée par le feu après avoir cru, selon la presse locale, qu'elle allait être condamnée à de la prison ferme pour avoir tenté d'entrer dans un stade.
Lire aussi : Le Belge Marc Wilmots nouveau sélectionneur de l'IranUne délégation de la Fifa, emmenée par l'ancien international français Youri Djorkaeff, était présente jeudi au stade Azadi pour évaluer la situation.
La Fifa exige des autorités iraniennes -sous peine de sanctions contre la fédération de football nationale- qu'elles autorisent les femmes dans les stades de football "pour tous les matches" et sans restreindre le nombre de places mises à leur disposition.
On n'en est pas encore là: Téhéran n'a jusqu'à présent pas annoncé que les femmes pourront assister à l'avenir aux matchs du championnat ou à d'autres rencontres internationales en Iran.
- "Tous les deux, enfin" -
Une polémique a même éclaté sur les réseaux sociaux face au maigre nombre de billets réservés à la vente pour les femmes. Les places se sont arrachées comme des petits pains et des femmes qui auraient voulu se rendre au stade n'ont tout simplement pas pu trouver un billet.
Jugeant insupportable le quota imposé par les autorités, une campagne sur Twitter appelle à accorder davantage de sièges aux femmes avec ce mot-dièse : #WakeUpFifa ("Fifa réveille-toi").
Amnesty International a qualifié pour sa part de "coup publicitaire cynique" la décision de n'autoriser qu'un "nombre symbolique de femmes" à assister à Iran-Cambodge.
Avant le match, la police a barré l'entrée, sans heurts, à une soixantaine de femmes voulant entrer au stade dans l'espoir d'acheter une place.
Des hauts-parleurs répétaient en boucle: "Les femmes sans billets se verront interdire l'entrée. Ne venez pas [si vous n'avez pas de billet], quittez s'il vous plaît les lieux et rentrez voir le match à la télévision".
Guélareh, étudiante de 18 ans ne cache pas sa déception : "Ca fait 14 ans que je rêve d'entrer au stade", mais là, "je n'ai pas pu avoir un billet."
Heureux avec sa compagne, même à l'idée de devoir la quitter à l'intérieur du stade, un homme d'une trentaine d'année émettait lui le voeu, avant le coup d'envoi, "que cela puisse continuer à l'avenir" : "C'est super de pouvoir être là tous les deux, enfin."