Le Parti de la justice et du développement (AKP) se réunira le 22 mai pour un congrès extraordinaire lors duquel "je ne pense pas que je serai candidat dans les circonstances actuelles", a déclaré M. Davutoglu lors d'un discours à Ankara au siège de cette formation au pouvoir depuis 2002.
La mise à l'écart de M. Davutoglu, 57 ans, de la direction de l'AKP signifiera la fin de son mandat de Premier ministre, le chef du parti ayant toujours été également à la tête du gouvernement.
Cette décision a été prise lors d'une réunion de la direction de l'AKP au lendemain d'informations faisant état d'une rupture consommée entre MM. Davutoglu et Erdogan. Les tensions entre les deux hommes, longtemps restées discrètes, ont brusquement affleuré cette semaine, et une réunion de la dernière chance mercredi soir n'a pas permis de les surmonter.
M. Davutoglu, dont l'AKP a remporté haut la main les dernières élections législatives le 1er novembre lui conférant un mandat de quatre ans, a tenu à souligner que sa décision n'était "pas le fruit d'un choix (personnel), mais d'une nécessité", une critique à peine voilée des cadres de l'AKP loyaux au chef de l'Etat qui ont récemment décidé de raboter ses prérogatives au sein du parti.
Pendant son discours, le chef du gouvernement a défendu son bilan politique et économique et nié tout conflit avec M. Erdogan, le véritable maître de la Turquie qui tient les rênes de l'AKP, même s'il est censé être constitutionnellement au-dessus de tout parti.
'Un seul homme'
"Je n'ai pas de reproches, je n'éprouve ni colère, ni rancoeur", a-t-il dit, assurant qu'il était déterminé à défendre l'"honneur de son frère" Erdogan, qui l'a nommé à la tête du gouvernement en août 2014 après avoir été élu à la présidence du pays.
Qualifié de "marionnette" à son arrivée au pouvoir, M. Davutoglu, perçu comme une figure modérée contrairement à l'agressif mais populaire président, s'est cependant taillé sa propre place sur la scène politique.
M. Erdogan n'aurait pas apprécié que son Premier ministre occupe le haut de l'affiche dans les négociations avec Bruxelles qui ont abouti à l'accord sur les migrants. Autre motif de contentieux : la volonté affichée par M. Davutoglu de reprendre les négociations avec la rébellion kurde.
Le chef de l'opposition, Kemal Kiliçdaroglu a dénoncé une "révolution de palais", fustigeant une intervention inacceptable de M. Erdogan dans les affaires de l'exécutif.
Depuis son élection à la tête de l'Etat, M. Erdogan ne cache pas son ambition de modifier la Constitution pour instaurer un régime présidentiel, un projet publiquement soutenu par M. Davutoglu, qui a toutefois semblé peu pressé de le mettre en oeuvre.
L'arrivée d'un allié plus docile à la tête du gouvernement pourrait lui permettre d'atteindre ce but. Plusieurs noms circulent, notamment ceux de Binali Yildirim, compagnon de route de M. Erdogan et ministre des Transports, et Berat Albayrak, ministre de l'Energie et gendre du président.
Les cadres de l'AKP, fondé par M. Erdogan, assurent que la transition se fera en douceur. "L'AKP ne connaîtra aucun problème en interne", a assuré jeudi le vice-Premier ministre Yalçin Akdogan, également successeur potentiel de M. Davutoglu. Ce dernier a indiqué qu'il continuerait d'occuper son poste de député après le congrès.
Comme pour entretenir un sentiment de normalité, les services du Premier ministre ont fait savoir que son déplacement en Bosnie-Herzégovine prévu vendredi aurait bien lieu, démentant des informations de presse.
Ce renversement à la tête de l'Etat arrive au moment où la Turquie, partenaire clé de l'Europe dans la crise migratoire, traverse une mer houleuse : menace jihadiste, reprise du conflit kurde, extension de la guerre en Syrie à sa frontière sud.
Il trouble également les marchés, inquiets de voir l'interventionniste M. Erdogan accroître son pouvoir. "Le sentiment du règne d'un seul homme à la tête du pays va se renforcer chez les investisseurs", a indiqué à l'AFP Ozgur Altug, économiste en chef au cabinet BCG Partners.
Avec AFP