Au Cameroun, un an après, proches et amis d'un journaliste supplicié sont toujours dans l'ignorance

Des personnes en deuil déposent des bougies dans une salle de Radio Amplitude FM où un portrait du journaliste Martinez Zogo a été placé pour lui rendre hommage, dans le quartier Elig Essono à Yaoundé le 23 janvier 2023.

La cire fondue des bougies entourant la chapelle ardente à la radio Amplitude FM s'épaissit un an après que Martinez Zogo, journaliste, a été supplicié par un commando des services de renseignement.

Sous la photo du présentateur hirsute de l'émission-phare Embouteillage -l'index malicieusement posé sur la bouche comme pour avertir ceux qui parlent trop-, fleurs, bougies et souvenirs s'entassent depuis la découverte de son corps atrocement mutilé le 22 janvier 2023.

"Avant, j’avais le courage de dénoncer. Désormais, je réfléchis avant d'écrire", souffle Marie-Noël Djamen, journaliste à Amplitude FM, qui dit avoir failli démissionner après le drame.

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"Eminent"

"La liberté d’expression continue d’être restreinte et les journalistes indépendants courent des risques (...) Trois d’entre eux, dont un éminent journaliste d’investigation (Martinez Zogo), ont été tués en 2023", note Human Rights Watch (HRW).

Le régime du président Paul Biya, 90 ans et au pouvoir depuis plus de 41 ans, continue de réprimer sévèrement toute opposition, accusent régulièrement les ONG internationales.

"Cette chapelle ardente nous rappelle tous les jours que le deuil n'a pas encore été fait", souffle Elise Domche Woudje, directrice générale de la radio, tout de noir vêtue comme le reste du personnel en ce mercredi 17 janvier, date anniversaire de l'enlèvement de leur collègue.

L'immense tristesse qui l'avait envahi un an plus tôt suinte encore de tous les murs de cet immeuble inachevé abritant la radio au ton impertinent comme celui de son défunt présentateur vedette.

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Sévices

"La blessure est toujours très vive. On cherche encore à comprendre ce qui a pu motiver des hommes à infliger de tels sévices", lâche Yannick Yamedjeu, journaliste à Amplitude FM.

D'autant que l'enquête piétine. Ou alors la justice veut le faire croire, commentent les plus pessimistes pour qui la lumière ne sera jamais complètement faite au-delà des exécutants.

Même la dépouille de Martinez Zogo n'a pas été rendue aux siens un an après, à la morgue dans l'éventualité de nouvelles autopsies, selon Mme Woudje. Ou pour cacher quelque chose, avancent d'autres.

Enlevé à 50 ans le 17 janvier 2023 dans Yaoundé, il a été retrouvé nu et sans vie cinq jours plus tard à Ebogo, à une vingtaine de kilomètres.

L'assassinat a provoqué un immense choc au Cameroun, contraignant le pouvoir à accepter de faire mettre sous les verrous des personnalités auparavant intouchables.

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Sulfureux homme d'affaires

Seize personnes sont en détention, dont les membres d'un commando des puissants services du renseignement, la DGRE, qui ont avoué, selon la justice, avoir enlevé et torturé le journaliste. Mais nient l'avoir tué...

Il y a le lieutenant-colonel Justin Danwé, qui reconnait avoir dirigé l'équipe, et son chef Léopold Maxime Eko Eko, directeur général de la DGRE, qui nie toute implication.

Mais aussi un sulfureux, richissime et puissant homme d'affaires proche du pouvoir, Jean-Pierre Amougou Belinga, cible d'innombrables plaintes et qui pérorait régulièrement sur ses chaînes de télé et de radio qu'il était intouchable. Mais aucun parmi certains ministres proches de M. Biya, pourtant abondamment mis en cause par des médias camerounais.

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Juges militaires

L’enquête a connu plusieurs rebondissements et une valse de juges et procureurs. Militaires puisque l'enquête est menée par des militaires et sera jugée dans un tribunal de l'armée.

Cette valse des magistrats "ne doit pas devenir le moyen pour le gouvernement pour ne pas prendre ses responsabilités", s'est ému le 16 janvier le Syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc).

Le lieutenant-colonel Danwé, le commissaire divisionnaire Eko Eko et Amougou Belinga demeurent inculpés de complicité de torture, même après une mystérieuse vrai-fausse ordonnance de remise en liberté des deux derniers supposée émise par un juge d'instruction, ce qui lui a valu sa place, et interceptée au dernier moment.

Dans un bistrot attenant à Amplitude FM, le souvenir de Martinez Zogo est vivace. Le jour de l'enlèvement, "il a pris un soda qu’il n’a pas terminé car il a reçu un coup de fil. Il m’a juste fait un signe de la main et est parti", se souvient un client qui préfère garder l’anonymat.

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Colère

"Un an plus tard, on ne sait rien de l'enquête et ça va dans tous les sens", résume à l'AFP Charly Tchouemou, rédacteur en chef d'Amplitude FM.

Lundi, le personnel de la radio ne travaillera pas, en signe de deuil. Mais la colère persiste. "Les espoirs s'amenuisent, l'enquête piétine. Pourquoi ? Alors que la police a tous les moyens de découvrir la vérité", s'énerve Yannick Yamedjeu.

Les ennemis de Martinez Zogo étaient sans doute légion. Son ton corrosif et ses accusations publiques véhémentes, parfois pas étayées, n'épargnaient personne au sommet du pouvoir, sauf M. Biya et sa famille, une ligne rouge dans les médias.

Ses cibles favorites avant son décès: Jean-Pierre Amougou Belinga et un ministre accusé par le journaliste d'avoir favorisé ses affaires.