"La chambre ordonne des réparations individuelles, collectives et symboliques pour la communauté de Tombouctou, reconnaît que la destruction des bâtiments protégés a causé de la souffrance aux personnes à travers le Mali et la communauté internationale et estime M. Mahdi responsable pour les réparations à 2,7 millions d'euros", a déclaré le juge Raul Cano Pangalangan.
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Le Touareg Ahmad al Faqi al Mahdi a été condamné en septembre dernier à neuf ans de prison pour avoir "dirigé intentionnellement des attaques" contre la porte de la mosquée Sidi Yahia et neuf des mausolées de Tombouctou, classés au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco et détruits à coups de pioche, de houe et de burin.
Né vers 1975, il était un membre d'Ansar Dine, l'un des groupes jihadistes liés à Al-Qaïda qui ont contrôlé le nord du Mali pendant environ dix mois en 2012, avant d'être en grande partie chassés par une intervention internationale déclenchée en janvier 2013 par la France. Il était chef de la Hisbah, la brigade islamique des moeurs.
Toutefois, étant donné l'indigence du jihadiste, la Cour encourage le Fonds au profit des victimes, organe indépendant mis en place par le statut de Rome, traité fondateur de la CPI, à "compléter les réparations ordonnées" et lever des fonds à cette fin.
Créé en 2004, le Fonds, qui reçoit des contributions volontaires versées par les gouvernements membres de la CPI, d'organisations internationales et de particuliers, devra présenter d'ici au 16 février un projet de plan de mise en oeuvre des réparations.
'Une goutte d'eau'
Alors que l'Unesco a achevé à l'été 2015 la restauration à l'identique de quatorze mausolées détruits, la CPI a souligné l'importance des biens culturels "uniques (qui) revêtent une valeur sentimentale".
"Leur destruction porte un message de terreur et d'impuissance, annihile une partie de la mémoire partagée et de la conscience collective de l'humanité et empêche celle-ci de transmettre ses valeurs et ses connaissances aux générations futures", a affirmé le juge.
Selon Luke Moffett, du centre des droits de l'homme de l'Université Queen's de Belfast, ces réparations "donnent l'espoir que, tandis que tous les biens culturels ne peuvent être restaurés, les gens et la culture peuvent renaître des cendres et des décombres pour perpétuer leur patrimoine pour les générations futures", a-t-il remarqué dans un communiqué.
Mais pour la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), c'est une "étape insuffisante dans la poursuite des crimes commis à Tombouctou". "Ce jugement est une goutte d'eau par rapport à ce qu'il s'est passé en termes de violation des droits de l'homme", a réagi auprès de l'AFP Kyra Wigard, membre de la délégation permanente auprès de la CPI.
Et cette ordonnance ne doit "pas faire oublier les autres crimes commis à l'époque dans la ville et qui doivent aussi être jugés", a ajouté le vice-président de la FIDH Drissa Traoré, dans un communiqué.
'Se relever'
Trois catégories de préjudices ont été identifiées par la Cour de La Haye: "l'endommagement des bâtiments historiques et religieux attaqués, les pertes économiques indirectes et le préjudice moral".
Les réparations collectives doivent permettre à la communauté de Tombouctou de "se (relever) des pertes financières et du préjudice économique subis, ainsi que de la détresse affective ressentie".
Les personnes dont les sources de revenus dépendaient exclusivement des bâtiments attaqués ainsi que les descendants des défunts dont les sites funéraires ont été endommagés doivent, quant à elles, bénéficier de réparations individuelles, jugées prioritaires par la Cour.
En termes de réparations symboliques, la CPI a ordonné le versement d'un euro à l'Etat malien et à la communauté internationale représentée par l'Unesco et suggère "l'édification d'un monument ou une cérémonie de commémoration ou du pardon".
La Cour a également exigé la publication en ligne des excuses faites par M. Mahdi à l'ouverture de son procès l'été dernier, les jugeant "sincères, sans équivoque et empreintes d'empathie".
Il s'agit de la seconde ordonnance de réparations dans l'histoire de la Cour fondée en 2012, après celle rendue en mars suite au procès de l'ancien chef de milice congolais Germain Katanga.
Avec AFP