Comme nombre de ses pairs désabusés par la misère qui afflige le troisième pays le moins développé du Monde selon l'ONU, le chômage qui touche 22% des moins de 25 ans officiellement et l'absence de perspectives et de libertés fondamentales, il passe ses journées à s'épancher sur son désir d'"alternance" sur les réseaux sociaux.
Cloué au lit dans une petite maison de briques du quartier de Gassi à N'Djamena, Rimtebaye survit dans la plus grande pauvreté. Sa vie a basculé en 2019, lorsqu'un accident de la route l'a laissé paralysé.
Il ne reçoit aucune aide et sa famille proche trime pour payer les soins. Sa mère ne touche aucune retraite et sa sœur est contrainte de faire le moto-taxi pour à peine 2.500 francs CFA par jours (moins de 4 euros).
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Coupures d'électricité
Les coupures d'électricité sont fréquentes, parfois plusieurs jours comme dans nombre de quartiers de N'Djamena. Les rues de Gassi ne sont pas bitumées comme beaucoup d'autres. Pendant la saison des pluies, difficile pour la famille de Rimtebaye de sortir en voiture dans une ville fréquemment inondée.
Le Tchad, bien que producteur de pétrole depuis 2003, est classé au 187e rang sur 189 au classement selon l'Indice de Développement Humain (IDH) du programme des Nations Unis pour le développement (Pnud) en 2020. En 2018, 42% de la population vivait sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.
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Pour Rimtebaye, c'est clair. "La jeunesse est totalement laissée de côté"."Sous le règne du président Idriss Déby, le Tchad est en retard à tous les niveaux: politique, économique, social", se lamente-t-il.
Et aussi dans l'éducation: "entre l’âge de 4 ans et 18 ans, les enfants tchadiens ne passent en moyenne que 5 ans sur les bancs de l’école", selon la Banque mondiale.
Aimé Aissadji Bona, 29 ans, dirige une plateforme pour aider les jeunes diplômés à trouver un emploi dans la fonction publique. "Même pour avoir un simple stage, c'est le principe de la cooptation, il faut un ami ou un parent bien placé", regrette-t-il.
Licencié en sciences biomédicales, il cherche lui aussi un travail à la hauteur de ses études. "Dans un laboratoire par exemple", se prend-il à rêver. Pour l'heure, il est livreur de médicaments.
"Quand l'électricité revient dans le quartier, les enfants crient de joie. Franchement, ça fait mal au coeur", lâche-t-il.
Marches pour l'alternance
"Les conditions de vie des personnes pauvres demeurent précaires et sont exacerbées par un faible accès aux services de base tels que l'eau potable, l’assainissement et l’électricité", y compris dans la capitale, selon la Banque mondiale.
Aimé pointe aussi la dérive autoritaire d'un "régime de terreur". "Quand tu croises un policier la nuit, tu as peur", affirme-t-il.
Depuis plusieurs mois, le pouvoir du président Déby, qui autorise voire encourage une certaine opposition "modérée", ou "manipulée" selon ses détracteurs, réprime violemment l'opposition plus critique qui appelle chaque samedi à des "marches pacifiques pour l'alternance".
Sur 16 candidats déclarés initialement pour le combattre dans les urnes, sept ont été invalidés et trois ont jeté l'éponge et appellent, même si leurs noms ont été maintenus sur les bulletins, à boycotter l'élection face à la répression.
Il en restera six face à M. Déby dimanche, sans véritable assise politique ou quasi-inconnus, des "faire-valoir" manipulés pour donner un vernis pluraliste au scrutin, selon l'opposition radicale et les politologues.
Alors dimanche, Aimé ne votera pas et ira "marcher pour l'alternance". "Il n'y a pas d'adversaires", le parti de Déby "a fabriqué des opposants pour l’accompagner, ça ne sert à rien de perdre son temps à aller voter", s’emporte Aimé.
"L’argent de la campagne, si seulement ça pouvait servir à fabriquer des tuyaux, des robinets", s'émeut le jeune homme. Une partie importante de la capitale, comme la quasi-totalité du reste du pays, n'a pas l'eau courante...
Mais les "marches pacifiques" ne mobilisent guère. Les divisions de l'opposition, qui n'a pas réussi à pousser un candidat unique, et les forces de sécurité qui dispersent violemment le moindre rassemblement dissuadent même les plus téméraires.
Mais pas Pafroumi Klibe. Il a été arrêté samedi par la police, alors qu'il sortait son téléphone pour filmer un début de marche, assure-t-il à l'AFP. "On était cinq en cellule, on dormait à même le sol", raconte-t-il à sa sortie. "Mais j'irai marcher, j’ai déjà 31 ans, autant que Déby au pouvoir bientôt, il doit partir", tonne le jeune homme.