Une sépulture à défaut de justice après une "bavure de soldats de la paix" en Centrafrique

Des hommes portent une femme qui s'est évanouie pendant un échange des tirs à Baya Dombia, Bangui, RCA,13 décembre 2015.

"Corps 1", "os mélangés"... Une à une, les caisses de bois clair aux inscriptions macabres sont descendues d'un camion de l'ONU, devant la foule médusée.

A Boali, à une centaine de kilomètres de la capitale centrafricaine Bangui, les restes de 13 femmes et hommes, victimes d'un massacre présumé par des soldats de la paix congolais, vont être rendus à leur famille, alors que justice n'a encore jamais été rendue.

"Ca nous va droit au coeur", souffle à l'AFP Robert Konomo, 60 ans, les traits tirés.

Vêtu de son plus beau boubou pour la cérémonie, Robert a perdu ses deux jeunes frères dans ce qui pourrait être "la plus grosse bavure de soldats de la paix en Afrique", selon des experts étrangers présents sur place.

C'était en mars 2014. Une dizaine de personnes sont portées disparues dans les environs de Boali après une altercation entre milices anti-balaka et soldats de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (Misca, remplacée depuis par une force de l'ONU, la Minusca).

L'ONG Human Rights Watch (HRW) pointe à l'époque du doigt le contingent congolais de la Misca, l'accusant de "représailles", au lendemain de la mort de l'un des leurs, tué par des anti-balaka.

"Les soldats de la paix sont là pour protéger la population civile, pas pour lui faire subir de nouvelles exactions", déclare à l'époque Peter Bouckaert, directeur de la division Urgences de HRW dans un communiqué.

Malgré des recherches, les corps des disparus restent introuvables.

Ce n'est qu'en 2016 qu'une fosse commune est découverte près d'une ancienne base de la Misca à Boali, dans laquelle les restes de douze personnes sont exhumées. HRW désigne à nouveau les soldats du contingent congolais.

"Aujourd'hui, je suis content (qu'ils soient inhumés) mais je ne suis pas satisfait", dit Robert Konomo, en observant les deux squelettes reconstitués de ses frères sur des tables en bois sommaires. Il est troublé.

"J'espère que la justice va être rendue", ajoute-il d'un ton ferme.

- 'A la recherche de la vérité' -

Rendre justice: c'est tout l'objet de l'enquête médico-légale lancée à la suite d'une commission rogatoire émise par le Congo sous pression internationale.

La Cour pénale spéciale (CPS, juridiction extraordinaire qui doit juger les crimes commis en RCA depuis 2003) a transféré le suivi des recherches au juge d'instruction de Bouali, Roger Poussinga.

Financée par les Etats-Unis, une équipe est constituée, à trois quarts d'étudiants en médecine légale de l'université de Columbia de New York et un quart d'une équipe argentine de docteurs en anthropologie-légale pour la reconstruction des corps.

"C'est la première fois qu'une expertise médico-légale est menée en Centrafrique", assure un gendarme de la police scientifique de l'ONU (Unpol), chargée de fournir une assistance technique aux experts.

Les experts prennent l'ADN des os "pour le séquencer" et les "croiser avec ceux des parents présumés", selon l'un d'eux, sous couvert d'anonymat.

"Cela nous permet de retrouver les familles", dit-il. Et, comme le ministre de la Justice Flavien Mbata, présent sur place lors de la cérémonie, l'espère, être à "la recherche de la vérité".

Le ministre a dévoilé mardi une plaque, noire et sombre à l'image de l'événement, sur laquelle les propos illustrent toute l'amertume des proches des victimes.

"Des soldats internationaux en mission en RCA ont tué 13 personnes et en ont enterré 12 dans une fosse commune. Grâce à la persévérance de leurs familles, leur corps ont été retrouvés, identifiés et retournés", peut-on lire sur la plaque.

Quelques sanglots éclatent lors du passage des caisses ou reposent les squelettes. C'est la seconde fois que les corps sont inhumés, après avoir été analysés cette fois-ci.

Onze familles ont fait le déplacement, parfois venus de contrées situées à des dizaines de km. Certaines prennent en photo avec leur téléphone portable l'imposant monument sur lequel sont sobrement listés les noms des victimes.

De cette première expertise médico-légale "à la recherche de la vérité", quelques-uns restent toutefois sceptiques: "ce n'est pas dans l'habitude des Centrafricains de manipuler des corps", confie un jeune homme dans l'assemblée, "ce qu'ils veulent surtout c'est que justice soit faite".

Avec AFP