Cet incident est rarissime : le dernier échec d'un vol habité lancé par une fusée Soyouz remonte à 1983 et s'était achevé par le retour sans dommage des deux cosmonautes soviétiques.
A peine deux minutes après le décollage, jeudi, un incident lors de la séparation des premier et deuxième étages de la fusée Soyouz a provoqué l'extinction d'un moteur. La capsule dans laquelle avaient pris place Nick Hague et Alexeï Ovtchinine a alors été expulsée, puis a entamé un brutal retour sur Terre, où elle s'est posée.
"Au moment du décollage du vaisseau Soyouz MS-10, une situation inhabituelle est apparue. Les systèmes de secours ont été activés, le vaisseau a atterri au Kazakhstan. L'équipage est vivant et le contact a été établi", a annoncé Roskosmos dans un communiqué, après quelques minutes d'incertitude sur le sort des deux astronautes.
"Nous les avons récupérés", a ajouté un peu plus tard une source au sein de Roskosmos aux journalistes présents sur le cosmodrome russe de Baïkonour au Kazakhstan pour suivre le lancement, qui devait emmener l'Américain et le Russe pour une mission de six mois sur la station orbitale.
"Problème de lanceurs, deux minutes 45 secondes", peut-on entendre dire d'une voix parfaitement calme Alexeï Ovtchinine, lors de la retransmission en direct du décollage. "C'était un vol rapide!", a-t-il ajouté avec un humour et un sang-froid désarmants.
Il s'agissait du second vol dans l'espace pour ce scientifique russe de 47 ans, qui avait passé 172 jours dans l'espace en 2016.
Au moment de l'incident, Nick Hague et Alexeï Ovtchinine voyageaient à près de 7.563 km/h, selon la Nasa. Équipée de parachutes, leur capsule les a ramenés sur Terre mais ils ont été soumis à une très forte pression de 6G, pour laquelle les deux hommes ont cependant été entraînés.
Lancements suspendus
Récupérés par les secours quelques minutes après leur atterrissage forcé, ils ont été évacués vers Jezkazgan, une ville de 80.000 habitants. Roskosmos a alors publié sur Twitter une photo des deux hommes assis sur un canapé, tandis que des médecins prenaient leur pression artérielle. Ils ont ensuite pris l'avion pour Baïkonour.
"La situation est dramatique, mais nous avons réussi à éviter un développement de la situation beaucoup plus grave", a déclaré à la télévision le directeur de Roskosmos, Dmitri Rogozine, ajoutant que l'équipage "se sent très bien et n'a pas de traumatisme".
Selon un photographe de l'AFP sur place, le décollage s'est bien passé mais "après la séparation du premier étage, on a eu l'impression qu'il y avait une sorte de flash".
M. Rogozine, a annoncé l'ouverture d'une enquête gouvernementale pour déterminer les circonstances de cet accident, tandis qu'une investigation pénale a été lancée par le Comité d'enquête.
Tous les lancements de vols pilotés sont suspendus en attendant les résultats de l'enquête et l'identification des problèmes qui ont provoqué cet accident, a indiqué le vice-Premier ministre russe Iouri Borissov, cité par l'agence officielle TASS.
Le prochain vol vers l'ISS, où se trouvent actuellement trois cosmonautes, l'Allemand Alexander Gerst, l'Américaine Serena Aunon-Chancellor et le Russe Sergueï Prokopiev, est théoriquement prévu pour décembre prochain.
L'Agence spatiale européenne a souligné que ce tir avorté aura "un impact" sur le planning de l'ISS et sur la mission d'Alexander Gerst, dont le retour est normalement prévu pour le 13 décembre.
Sur Twitter, ce dernier s'est réjoui de la bonne santé de ses collègues et loué la qualité des fusées Soyouz capables de "sauver l'équipage d'une telle défaillance".
Nouveau revers pour Roskosmos
Cet incident intervient alors que le cosmonaute Alexeï Ovtchinine devait notamment, au cours de son séjour sur l'ISS, vérifier lors d'une sortie dans l'espace le trou ayant causé une fuite d'oxygène sur le vaisseau Soyouz MS-09 amarré à la station orbitale.
Après la découverte de ce trou de deux millimètres de large fin août, Dmitri Rogozine avait évoqué l'hypothèse d'un sabotage, parlant d'un possible "acte prémédité" sur Terre ou dans l'espace.
Des médias russes avaient évoqué la thèse d'un trou fait par les astronautes américains pour ramener plus vite sur Terre un de leurs collègues malade, des accusations démenties ensuite par plusieurs responsables russes.
Il s'agit également d'un nouveau coup dur pour l'agence spatiale russe, qui a essuyé ces dernières années plusieurs déconvenues.
Entre 2015 et fin 2017, Roskomos a eu à déplorer la perte de deux satellites après leur lancement, d'un vaisseau cargo Progress, la défaillance d'un lanceur Proton ou encore la découverte de défauts sur la plupart des moteurs produits pour les fusées devant placer en orbite des satellites.
Ces échecs ont coïncidé avec l'ouverture en 2016 du cosmodrome russe de Vostochny, censé remplacer Baïkonour et symboliser la renaissance de l'industrie spatiale en Russie. Ce chantier avait été émaillé de multiples retards et scandales de corruption.
Avec AFP