A-t-elle parfois peur d'être visée par des représailles, des violences, dans ce pays d'Afrique australe où elles ne sont pas rares? "Je ne fais rien d'illégal", répond-elle, faussement tranquille, lors d'un entretien avec l'AFP.
Comme si son opposition systématique aux magouilles, le visage incorruptible et exigeant qu'elle oppose à chaque abus, ne pouvait lui valoir aucun problème. "Je ne fais que respecter le serment que j'ai prêté", insiste-t-elle visage fermé, sous tension.
Cheveux courts et pommettes saillantes dans un visage rond, cette femme noire de 64 ans, robe élégante et rang de perles, a pourtant déjà été arrêtée, tabassée, elle a même passé huit jours en prison il y a quelques années. Mais elle continue à porter plainte, plaider et faire appel, quand la peur a fait taire nombre de ses confrères.
"Je constitue un corpus d'affaires qui nous permettra plus tard d'enquêter en profondeur sur les dysfonctionnements du système judiciaire, pour faire en sorte que cela ne se reproduise plus", explique-t-elle, évoquant un troisième pouvoir "capturé", entièrement soumis à l'exécutif. "Je ne verrai peut-être pas cela de mon vivant", dit-elle sans illusions à l'approche de l'élection présidentielle prévue en août et que le Zanu-PF, au pouvoir depuis l'indépendance en 1980, entend bien remporter.
Elle se défend de faire de la politique. Mais dénonce un système corrompu jusqu'à la moelle, où la justice est rendue en fonction de loyautés partisanes. "Régulièrement, les gens ne sont plus libérés sous caution, sauf s'ils sont alignés sur le Zanu-PF". Et en première instance, "vous auriez bien du mal à trouver le moindre juge capable d'affirmer que les arguments de l'accusation, quand c'est l'État, sont faibles".
Répression accrue
En première instance, les prévenus politiques comparaissent systématiquement devant les mêmes juges et n'ont aucune chance d'être libérés sous caution. Beatrice Mtetwa fait toujours appel. Car à ce niveau, "les juges sont affectés à tour de rôle" donc il peut exister une petite marge de manœuvre.
Pour elle, "ce qui est pénible, c'est que le pouvoir judiciaire devrait se battre bec et ongles pour conserver son indépendance". Or "la moitié du temps", dit-elle, "je ne pense même pas que les politiciens passent un coup de téléphone pour influencer un jugement": ce sont les juges qui devancent leurs désirs.
Elle cite le sort du député de l'opposition Job Sikhala, aimé du petit peuple de la capitale, et en prison depuis bientôt 300 jours pour un discours politique qualifié d'"incitation à la violence". Il ne sortira pas avant l'élection: "Ils le veulent à l'ombre, pour qu'il ne puisse pas être candidat".
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La campagne "va probablement être un bain de sang", prédit-elle. Déjà des réunions de l'opposition sont entravées, des responsables, y compris des députés, "arrêtés dans leurs propres maisons" sous prétexte de réunion illégale. Et ceux qui appellent à la violence "ou même au meurtre" d'opposants "ne sont pas inquiétés", déplore-t-elle.
La répression est plus dure que sous Robert Mugabe, l'homme fort du pays pendant 37 ans. Après le coup d'État de 2017, "on a fait semblant de prendre une autre direction", présentant le nouveau président Emmerson Mnangagwa "comme plus apte à comprendre les problèmes". Mais, croit-elle, il a rapidement été "atteint par la chaleur du siège du pouvoir".
Alors pourquoi l'avocate, aînée d'une cinquantaine d'enfants d'un père polygame du Swaziland (aujourd'hui Eswatini, ndlr) voisin, se bat-elle? "Parce que vous ne pouvez pas dire qu'un système est pourri" depuis l'extérieur sans mettre les mains dans le cambouis, souligne-t-elle. "Moi je vais au tribunal. C'est là que mes compétences sont requises", ajoute-t-elle avec entêtement.
Et aussi parce que certains clients ne trouveraient pas d'avocat pour les défendre. "Ils disent me choisir parce que je ne serai pas intimidée, ni achetée. Ils croient que je ne transigerai jamais sur mes principes", raconte-t-elle. "Il faut croire qu'on ne m'a jamais proposé un bon prix", lance ironiquement la pasionaria, en éclatant de rire.