Zones d'ombre et inquiétudes un mois après l'attentat de Ouagadougou

Des agents médicaux évacuent des corps au café Aziz Istanbul, à Ouagadougou, le 14 août 2017.

Craintes de radicalisation dans le Nord instable, forces de sécurité défaillantes, État faible et surveillance difficile: un mois après l'attentat de Ouagadougou, toujours pas revendiqué, la menace jihadiste pèse toujours sur le Burkina Faso, selon des experts.

"Pour rien au monde, nous n'allons laisser faire les terroristes", a déclaré le ministre de l'Intérieur, Simon Compaoré, après l'attaque menée par deux jihadistes présumés qui ont ouvert le feu, le 13 août, sur un café-restaurant hallal, le Aziz Istanbul, situé sur la principale avenue de la capitale. L'attentat a fait 19 morts et 21 blessés.

Cette attaque s'est produite un an et demi après celle qui a visé le restaurant Cappuccino, le Splendid hôtel et le bar le Taxi-Brousse (30 morts, 71 blessés). Ces établissements sont situés à une centaine de mètres du Aziz Istanbul.

"Nous allons faire en sorte que les forces de défense et de sécurité puissent monter en puissance du point de vue de leurs équipements, leur formation, pour qu'il soit possible de sécuriser le pays", avait expliqué le ministre.

Mais ces mesures ne font pas toujours totalement l'unanimité parmi la population. "Nous voyons des policiers et des gendarmes qui patrouillent sur l'avenue et qui s'installent devant certains points chauds. Ça rassure. Ces mesures sont dissuasives mais ça effraie aussi" les clients, confie Zeinatou Kontogomdé, propriétaire du Taxi-brousse, lieu emblématique de la vie nocturne ouagalaise.

Et si les forces de sécurité sont intervenues plus rapidement en août que lors de l'attaque de janvier 2016, elles se sont révélées impuissantes à empêcher cette nouvelle attaque contre la capitale, et à stabiliser le nord du pays.

"La situation est problématique, on ne peut pas se contenter de mesures sécuritaires opérationnelles. Même si c'est nécessaire, ça ne peut pas suffire", avertit Lassina Diarra, auteur de "La Cédéao (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest) face au terrorisme transnational".

- 'Perdre le Nord' -

Car dans ce pays sahélien à majorité musulmane et parmi les plus pauvres au monde, "nous sommes face à un terrorisme endogène" venu du Nord, où les attaques (écoles, gendarmeries) sont récurrentes, souligne le chercheur.

"Tant que le problème dans le Nord ne sera pas réglé, a-t-il dit, toutes les villes du Burkina seront en danger, et particulièrement Ouagadougou".

Le Burkina "est en train de perdre le Nord, dans les deux sens du terme", selon une source occidentale.

Un mouvement radical s'est notamment développé autour de Djibo, près de la frontière malienne, profitant de la faible présence de l'État.

S'appuyant sur une proximité avec les populations les plus pauvres, marginalisées par le pouvoir central tout comme par l'aristocratie musulmane locale, le prédicateur et chef présumé de ces jihadistes, Malam Dicko, désormais homme le plus recherché du pays, a entrepris un travail de fond de prosélytisme.

"Pour la plupart (les jihadistes) sont des jeunes de Djibo qui agissent dans la province. Ils se disent que la religion n'est pas bien pratiquée. Ils ont leurs pratiques et veulent que tout le monde adopte cette manière de pratiquer la religion", explique Ousmane Dicko, l'émir de Djibo. "Le phénomène est inquiétant. Ils s'organisent, recrutent".

Ce "terrorisme endogène", dont les liens avec les groupes jihadistes sahéliens restent flous, pourrait selon certaines sources sécuritaires expliquer que l'attentat du 13 août n'ait pas été revendiqué, ayant pu être organisé sans ordre précis.

Selon d'autres sources, il serait impossible de revendiquer une "bavure", car parmi les victimes figurent deux Koweïtiens de la Société pour le renouveau du patrimoine islamique, organisation inscrite sur la liste des sanctions contre d'Al Qaida en 2002 malgré les protestations du Koweït.

- 'Imams crédibles' -

Pour espérer redresser la situation, "il faut une lutte multidimensionnelle, sinon ça va recommencer", martèle M. Diarra. "Outre l'opérationnel, il faut une lutte idéologique avec des imams crédibles qui sensibilisent les populations" sur les dangers de la radicalisation. Il estime que "l'État doit renforcer sa présence" non seulement pour créer des conditions de développement et d'emploi qui éloignent les jeunes de l'attrait de la lutte armée mais aussi pour "regagner la confiance de la population et ainsi avoir (le) renseignement" indispensable.

"C'est une lutte contre la montre", estime la source occidentale. "Plus on laisse pourrir, plus ce sera difficile, mais l'État burkinabè semble enfin avoir compris l'étendue du problème après des années de laisser-aller".

Avec AFP