Mile 1 Junction, un quartier périphérique située à l'entrée de Bamenda accueille une grande communauté de Camerounais de langue française. Beaucoup d'anglophones y vivent aussi, visiblement en bonne intelligence.
A l'entrée du quartier, un jeune homme - anglophone - cuit des beignets au feu de bois devant la boutique bien achalandée de Mirabelle, à Bamenda depuis 12 ans. Des clients passent leurs commandes en anglais, d'autres en français. "Ici, nous n'avons aucun problème", assure-t-elle.
Dans Mile 1 Junction, rien ne traduit le malaise. Mais "dès que tu sors d'ici pour te rendre en ville ou au marché, tout te rappelle que tu es francophone", constate Hélène.
"Au début de la crise, les radicaux ont envoyé des lettres aux bailleurs anglophones, leur demandant de mettre les francophones dehors", affirme-t-elle.
A l'école, il y a de plus en plus un clivage entre les deux communautés, souligne-t-elle, précisant que sa fille, inscrite en section anglophone dans une école bilingue, "est mise à l'index parce qu'elle est francophone".
Adossée à la porte de la maison, la gamine approuve de la tête. "A l'école, ils (les élèves anglophones) font la différence entre nous. Une fois, un enseignant a traité les francophones de +tribalistes+. Je n'ai pas d'ami en classe", confirme la jeune fille, qui se dit "frustrée".
Les autres enfants d'Hélène sont inscrits dans une école francophone installée dans l'enceinte d'un camp militaire. "Là-bas pas de problème" assure-t-elle.
- Peur et menaces -
Comme coupée du reste de la ville, Mile 1 Junction offre le visage d'un havre de paix dans une cité en pleine tumulte où tout peut basculer dans la violence à tout moment.
"Quand c'est mauvais en ville, il y a le calme ici", acquiesce sous couvert d'anonymat un policier résidant dans le quartier.
Mais ailleurs dans Bamenda et la région, les autochtones font de plus en plus l'amalgame entre l'oligarchie francophone qui dirige le pays, et la communauté francophone (80% de la population).
"Certains francophones de Bamenda ont été la cible de menaces. Des radicaux leur ont dit qu'ils allaient les chasser et récupérer leurs biens", reconnait le policier.
De nombreux francophones, principalement des Bamiléké (le plus grand groupe ethnique du pays) de la région administrative voisine de l'Ouest, ont beaucoup investi dans les affaires à Bamenda, quatrième ville du Cameroun par son poids économique.
Des fonctionnaires et commerçants francophones y ont également acquis des terres, construit des maisons. A Up-Station, un quartier résidentiel où se trouve aussi la plupart des administrations, beaucoup de villas cossues appartiennent à de riches hommes d'affaires Bamiléké.
Aussi, certains anglophones "pensent que c'est nous (francophones) qui sommes venus occuper leurs terres et les postes (dans l'administration) qui doivent leur revenir", souligne Donald, un jeune enseignant.
Dans la ville, les postes de responsabilités dans les administrations publiques, à la police, dans l'armée et même à la justice sont très souvent tenus par des francophones et l'usage du français courant; ce qui attise la colère locale.
Donald est né à Bamenda et y a grandi. Il y est maintenant affecté comme enseignant. "Ça ne va pas. Si l'Etat ne m'avait pas affecté ici, je serais parti", confie-t-il.
"Ce n'est pas facile de se déplacer et d'avoir peur tout le temps d'être agressé par des radicaux qui n'opèrent jamais à découvert", ajoute-t-il, citant des exemples de personnes "tabassées" parce qu'elles parlaient français.
Avec la crise, beaucoup de francophones ont vendu leurs terres pour quitter la ville, a-t-on appris de sources concordantes. La plupart des fonctionnaires ont envoyé leurs familles dans des zones francophones comme Mbouda, première grande ville francophone après Bamenda, ou Bafoussam, la plus grande cité de la région administrative de l'Ouest.
Même à Mile 1 Junction, des habitants sont partis, souligne Donald, qui affirme avoir dénombré aux moins six départs dans son entourage.
Avec AFP