Plus de 50 femmes congolaises affirment avoir été victimes d'exploitation sexuelle, sous forme de chantage à l'emploi, par des employés d'agences de l'ONU et de grandes ONG dans la lutte contre Ebola entre 2018 et 2020.
"Au moins 30 femmes ont déclaré à des reporters qu'elles ont été abusées ou exploitées sexuellement par des travailleurs déclarant être de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS)", ajoute l'enquête de l'agence spécialisée The new humanitarian (TNH) et la Thomson Reuters Foundation.
L'OMS a annoncé des enquêtes après les révélations, de même que d'autres organisations épinglées (l'Organisation internationale des migrations, l'Unicef, l'ONG médicale Alima et World Vision).
Les autorités et des voix de la société civile congolaise ont également réagi.
"Je condamne, au nom du gouvernement, ce genre d'attitude", a déclaré le porte-parole du gouvernement David Jolino Makelele. "Nous allons renforcer notre contrôle sur ce genre de missions sans aller jusqu'à entraver l'indépendance de ces organismes", a-t-il ajouté à la radio Top Congo. "Nous tenons à ce qu'on nous envoie des gens d'une certaine moralité".
Le prix Nobel de la paix congolais Denis Mukwege a souhaité que les victimes portent plainte. "Nous avons des juristes et des avocats très courageux. Je ne pense pas qu'ils vont reculer face à des organisations internationales", a ajouté à l'AFP le gynécologue qui opère et défend des femmes victimes de violences sexuelles dans la province voisine du Sud-Kivu.
Travaillant en RDC en lien avec leurs agences spécialisées (OMS, Unicef, OIM), les Nations unies affirment avoir tiré les leçons de précédents scandales d'abus sexuels impliquant des Casques bleus dans leurs opérations de maintien de la paix.
"Nous avons une base de données vers laquelle les agences des Nations unies peuvent faire remonter en temps réel toute suspicion d'abus", a déclaré vendredi à Genève une porte-parole onusienne, Alessandra Vellucci.
- Système d'alerte défaillant -
Ce système d'alerte "ne semble pas avoir fonctionné" dans le cas de la lutte contre l'épidémie d'Ebola en RDC, a reconnu à Genève un porte-parole du Bureau de la coordination humanitaire des Nations-Unis (Ocha), Jens Laerke.
"Le monde humanitaire doit encore prendre le problème à bras le corps. Les donateurs, Ocha et les principales agences des Nations unies ainsi que les ONG devraient s'asseoir ensemble", explique un cadre de l'ONU joint par l'AFP.
L'OMS a tout particulièrement joué un rôle-moteur dans la riposte à l'épidémie d'Ebola, qui a tué plus de 2.200 personnes principalement dans la province du Nord-Kivu entre 2018 et 2020.
Guère habitués à ce rôle opérationnel dans des opérations d'urgence, les responsables de l'OMS n'étaient peut-être pas assez préparés à la prévention des abus sexuels commis par des membres de leurs personnels, avancent des experts.
Les enquêteurs des Nations unies manquent en outre souvent d'expérience en matière d'enquête sur des abus sexuels présumés.
"C'est l'un des domaines qui se prête le plus difficilement aux enquêtes. C'est difficile de trouver des gens qui ont de l'expérience", affirme Caroline Hunt-Matthes, une experte indépendante citée par l'agence de presse TNH.
"Horrifié mais pas surpris": telle est la réaction d'un témoin de premier plan après ces révélations.
"Tous les ingrédients étaient réunis", ajoute-t-il sous couvert de l'anonymat, affirmant avoir eu des doutes "dès le premier jour".
Parmi ces "ingrédients", l'afflux d'argent et de travailleurs humanitaires généralement bien payés dans la zone pauvre de l'épidémie, principalement la région de Beni-Butembo.
Des centaines de millions de dollars ont financé les activités des agences de l'ONU et des ONG sous l'égide du ministère congolais de la Santé.
Pour les habitants pauvres, cette manne a représenté l'occasion rare de décrocher un emploi de chauffeur, agent de sécurité, femme de ménage, au sein des équipes de la riposte anti-Ebola.
"Nous sommes là pour chercher le boulot, pour avoir à manger", expliquait à l'AFP une femme, Salomé, parmi des dizaines de personnes attendant à l'entrée d'un Centre de traitement d'Ebola (CTE) à Butembo en mars 2019.