Dans le couloir sombre d'un immeuble délabré du township de Mbare, au Zimbabwe, quelques toxicomanes en quête désespérée de guérison prient et s'encouragent mutuellement à réduire leur consommation de drogue. Ils partagent une assiette de biscuits.
Parmi les membres de ce groupe de soutien, il y a Adrias Chidemba, 28 ans, un vendeur de fruits et légumes dans les rues de Harare, la capitale. Avant l'avènement de la pandémie du nouveau coronavirus, il économisait pour monter un petit kiosque. Mais le Covid-19 est arrivé et le confinement de plusieurs mois a brisé ses rêves.
"Je me suis mis à prendre de la drogue et de l'alcool pour gérer le stress", confie-t-il, ajoutant que ses parents l’ont pris pour un fou et l’ont mis à la porte.
Selon les professionnels, la pandémie a exacerbé les problèmes de santé mentale dus à la toxicomanie au Zimbabwe. Les autorités et les militants pointent du doigt les pertes d'emploi, les fermetures prolongées des écoles et l'anxiété résultant du Covid-19. Le manque de structures de soutien, telles que des centres de réhabilitation abordables, rend le sevrage difficile pour de nombreux toxicomanes.
"C'est catastrophique", constate le docteur Johannes Marisa, président du Conseil des médecins et des dentistes du Zimbabwe, qui estime que les problèmes de santé mentale liés à l'abus de substances sont "en hausse vertigineuse".
Pas un cas isolé
À l'hôpital Sally-Mugabe, l'un des plus grands du pays, la majorité des personnes qui passent par l'unité psychiatrique sont des toxicomanes, témoigne Nelson Makore, le responsable des soins infirmiers de l'unité.
"Nous avons des cas de schizophrénie, de dépression, des troubles bipolaires... mais la consommation de drogue est actuellement en tête de cette liste. Cela met à rude épreuve les membres de notre personnel. Nous sommes un hôpital, pas un centre de réadaptation", explique-t-il.
En 2019, l'hôpital a pris en charge 150 cas de toxicomanie. Ce chiffre est passé à 850 en 2020 et a continué à augmenter en 2021. Mais le Zimbabwe ne semble pas être un cas isolé.
"Les premières études menées dans différentes régions du monde semblent indiquer des taux relativement élevés de symptômes d'anxiété, de dépression, de stress post-traumatique et de détresse psychologique pendant la pandémie", affirme le docteur Mark van Ommeren, chef d'unité du département Santé mentale et Toxicomanie de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Des rapports suggèrent une augmentation des décès liés à l'alcool pendant la pandémie, tandis que des études menées dans quelques pays indiquent "une augmentation de la consommation de cannabis et de substances psychoactives aux effets sédatifs".
Les professionnels de la santé zimbabwéens connaissent bien les problèmes liés à la consommation de marijuana, mais ils constatent aujourd'hui que de plus en plus de personnes se tournent vers des drogues dures comme l'héroïne, la cocaïne et la méthamphétamine sous forme de cristaux pour faire face à la pandémie, détaille Mark van Ommeren.
Les centres de désintoxication publics étant rares, de nombreux toxicomanes s'en remettent à des groupes de soutien qui se réunissent dans des lieux miteux qui deviennent souvent des repaires pour les consommateurs.
"Ces groupes de soutien sont leurs seuls espoirs. Le manque de centres de désintoxication pour les pauvres nous tue", dénonce Kudakwashe Madzima, responsable local du Zimbabwe Civil Liberties and Drug Network, une ONG de prévention. Alors que le groupe de soutien était réuni à Mbare, d'autres jeunes fumaient de la marijuana à proximité.
Des bureaux transformés en hébergement
Avant la pandémie, Kudakwashe Madzima dit qu'il recevait en moyenne deux appels de détresse par semaine, maintenant il peut en recevoir jusqu'à cinq par jour. Des seringues et des bouteilles de médicaments contre la toux jonchent le sol du township, signe d'un abus généralisé, affirme-t-il. Lui-même est un ancien toxicomane qui a dû se rendre en Afrique du Sud pour se faire soigner.
Au centre thérapeutique de Tirivanhu, situé à environ 25 kilomètres au sud-est de la capitale Harare, les personnes qui ont la chance d'y trouver une place travaillent dans le jardin, dans une pépinière et avec le bétail avant de participer à des séances de conseil et de sport l'après-midi.
En raison de la demande croissante, des bureaux ont été transformés en hébergement, confie Timothy Sithole, un responsable de l'Association nationale du Zimbabwe pour la santé mentale, qui gère le foyer.
"C'est vraiment triste", dit-il. "Nous n'avons qu'une capacité de 17 personnes à la fois. Il y a donc une longue liste de gens voulant faire admettre leurs proches ici, surtout depuis la pandémie, car nous avons une augmentation de la toxicomanie".
Le centre facture 30 dollars par mois, mais il accueille aussi gratuitement des "cas vraiment désespérés" et reçoit une aide du gouvernement. Certains centres privés peuvent facturer entre 10 et 20 fois plus, ce qui les rend inabordables pour beaucoup, constate Timothy Sithole, ajoutant que ceux qui n'obtiennent pas de soutien finissent par errer dans les rues.