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A Libreville, le déconfinement est une "bouffée d'oxygène" pour les travailleurs pauvres


Julie Nyangui, fondatrice de la marque de chocolats qui porte son nom, pose dans son magasin à Libreville, le 8 juin 2019.
Julie Nyangui, fondatrice de la marque de chocolats qui porte son nom, pose dans son magasin à Libreville, le 8 juin 2019.

Le ronronnement incessant des moteurs et les conversations animées résonnent à nouveau dans le centre de Libreville, où le confinement pour lutter contre le coronavirus a été assoupli, au grand soulagement des travailleurs précaires du Gabon, le plus souvent immigrés.

Les vendeurs ambulants de cravates, d'insecticides et produits en tout genre battent à nouveau le pavé au pied des bureaux et des ministères, rouverts après deux semaines de confinement très strict.

"Les employés gabonais reviennent et, avec eux, mes clients", se réjouit Souleyman, qui vend boissons et sucreries. "Une bouffée d'oxygène", souffle ce Guinéen de 32 ans.

Le centre de la capitale s'était depuis le 13 avril mué en ville-fantôme, le brouhaha quotidien remplacé par le clapot des vagues le long de ses plages blanches, mais, face à la colère dans les quartiers populaires et la montée de la criminalité, le gouvernement a annoncé il y a quatre jours, contre toute attente, un début de déconfinement.

Le Gabon, petit Etat pétrolier d'Afrique centrale, ne déplore officiellement que moins de 300 cas de coronavirus et trois morts, pour une population de quelque deux millions d'habitants, dont près de la moitié à Libreville et sa banlieue.

- "Ca commençait à chauffer" -

"Je n'ai rien gagné pendant deux semaines, c'était très dur", témoigne Souleyman.

Des femmes, la tête surmontée de bassines remplies d'avocats ou d'ananas, se frayent un chemin au milieu des voitures pare-choc contre pare-choc, les cireurs font briller les coquets souliers des cadres gabonais et les "débrouillards" empochent à nouveau quelques pièces contre une place de parking... Un retour à la vie quotidienne avec une différence de taille: "tout le monde porte le masque", observe Souleyman.

"Tenir plus longtemps aurait été impossible", lâche-t-il. Dans son quartier, Petit Paris, où habitent de nombreux immigrés, "ça commençait déjà à chauffer". "Les bailleurs sont passés pour nous réclamer les loyers du mois de mai sous peine de nous expulser", explique-t-il.

Pourtant, le président Ali Bongo Ondimba, entre autres mesures pour soutenir les plus pauvres, avait promis la suspension des loyers en compensant les bailleurs.

"+Foutaises, on ne sera jamais remboursés !+, ont dit nos propriétaires en nous forçant à payer en avance", témoigne Souleyman. Pour les plus pauvres, dont ces immigrés, la plupart des baux ne sont que verbaux...

- Distributions mais pas pour tous -

Le gouvernement a aussi organisé des distributions de kits et bons alimentaires, mais elles ont pris du retard, et de nombreux quartiers n'avaient encore rien reçu en deux semaines de confinement. "Dans mon quartier, ils ont distribué à certains ménages, mais pas aux étrangers", affirme le vendeur.

Au Gabon, le pétrole permettait d'afficher un revenu par habitant parmi les plus élevés d'Afrique, mais la majorité reste pauvre. Environ 20% de la population est étrangère.

Le niveau des salaires dans les secteurs public et privé, plus élevé que dans de nombreux pays du continent, garantissent des revenus plus importants que chez eux aux immigrés, souvent sans papiers et essentiellement acteurs de l'économie informelle (vente à la sauvette, commerce informel, travail au noir etc.).

Maliens, Guinéens, Burkinabés, Béninois, Camerounais ou Sénégalais, la plupart des commerçants, gardiens et chauffeurs de taxis au Gabon sont étrangers. Chaque mois, ils envoient au pays une partie de leurs maigres revenus.

Comme Allassani, une Togolaise de 35 ans. Devant un supermarché, elle alpague les passants en vantant "ses mandarines et ses pommes bien sucrées".

"Heureusement qu'on a repris", dit cette mère qui vit seule avec ses deux enfants et qui, avant l'épidémie, gagnait dans les 5.000 francs CFA par jour (7,50 euros). "C'est mieux, mais c'est pas encore la joie", se lamente-t-elle maintenant.

Dans sa bande de copines qui arpentent le quartier, il y a aussi Amina Allake, une Béninoise de 40 ans qui vend de la mort-aux-rats et des sous-vêtements pour hommes. "Il y avait des gens dans la rue, mais personne n'a acheté, on ne sait pas de quoi demain sera fait, alors ils préfèrent garder leur argent", se désole-t-elle.

"Tu sais, c'est pas le virus qui nous fait peur, c'est plutôt la galère qui vient", lâche la vendeuse à la sauvette.

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